L'Avènement de l'Astre Noir - Les Flammes Eternelles

19 - Les Héritiers

William Archanger se tenait assis à son bureau, les yeux perdus dans le vague. Dans ses mains, il tenait le cadre enfermant la photographie de ses enfants.

Cette photo avait plus de quinze ans. Gaëlle n'y était encore qu'une toute petite fille, un visage angélique et enfantin. Salomé et Keira, à peine plus âgées, se tenaient côte à côte, espiègles et visiblement complices. Puis venaient les aînés, Jade et Julian, déjà grands pour leur dizaine d'années, déjà investis de la dignité due à leur famille, la première dépassant le second de quelques centimètres à l'époque.

Mais il manquait un des enfants Archanger sur ce cliché, et non des moindres. William l'avait fait effacer à partir du négatif original. Il manquait leur aîné à tous, un adolescent déjà à cette époque, à la peau très pâle, au teint maladif, aspect physique qu'il avait toujours ressenti comme un handicap depuis sa plus tendre enfance, ce qui avait participé à forger son caractère rebelle et plein de rancœur.

Ce fils manquant, William avait bien essayé de le retenir, mais il devait reconnaître qu'il s'y était mal pris. Il avait fortement sa part de responsabilité dans la fugue de Mylar. Leur dernière dispute, notamment, avait profondément brisé le lien qui les reliait...

Pendant deux longues années, William Archanger l'avait fait chercher, à travers le monde, en vain... Il avait fini par se faire une raison. Mylar, en dépit de ses défauts, sa fierté et son tempérament brutal notamment, possédait de nombreux talents, dont celui de savoir naviguer en eaux troubles.

Qui sait ce qu'il avait pu tramer pendant toutes ces années, à quels secrets il avait eu accès, quels mystères il avait pu percer... et quelles erreurs mortelles il avait commis !

Lentement, William reposa le cadre, et s'empara du globe sur son bureau. L'objet, ancien, semblait conçu dans un métal dont la nature était difficile à déterminer. Il avait la taille de tenir dans la paume de sa main, et sa surface paraissait élimée, cabossée, fissurée même par endroits. Cependant, ce n'était pas le temps qui l'avait déformé : sa surface n'avait jamais été lisse. Et bien qu'elle ne parut pas représenter quelque chose d'existant, un esprit imaginatif aurait peut-être plus voir là les contours de vagues formes géographiques, comme une sorte de globe représentant un monde fictif.

A ce moment, on frappa à la porte. Keira et Duncan le majordome entrèrent dans le bureau, où se trouvaient, outre le patriarche, Jade et Gaëlle, auparavant tournées devant le grand hublot, face à la forme noircie de la lune.

  – Je suis désolée, dit Keira en entrant. Nous avons cherché partout. Je ne sais pas où sont passés Julian ni Salomé...
  – Nous avons envoyé plusieurs vigiles à leur recherche, déclara le majordome.

  – Tant pis, dit le patriarche. Referme la porte s'il te plaît Duncan. Keira, nous avons à parler. J'espère que nous retrouverons Julian et Salomé rapidement, mais je ne peux plus repousser davantage ce moment.

Keira n'avait pas attendu les paroles de son père pour se retourner avec surprise vers la lune, que fixaient auparavant ses deux sœurs. Elle se rapprocha du hublot avec incrédulité pour observer l'astre obscurci.

  – Je ne comprends pas, dit-elle, est-ce un effet d'optique ?
  – Non, répondit le patriarche, malheureusement non.

  – Pourquoi "malheureusement" ? s'inquiéta Jade. Est-ce un phénomène dangereux ?
  – Pas dans le sens où on l'entend. Mais en ce qui vous concerne, il est capital.

  – Jusqu'à quel point ?
  – Au point de bouleverser toute votre existence. Ce phénomène auquel vous assistez en ce moment... s'est déjà produit. Il y a vingt deux ans exactement. Au moment où nous sommes arrivés sur Terre.