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Je me réveille dans un long couloir, mon corps est faible et je suis seul. Autant physiquement que mentalement. Il me faut quelques secondes pour me souvenir de ce que nous étions en train de faire.

Soucieux, je détaille avec plus de minutie mon environnement. Il n'y a pas de fenêtre et les portes que j'essaie d'ouvrir sont des fausses. Déboussolé, je mets du temps à remarquer que le bout du couloir avance dans ma direction. Il me faut quelques secondes supplémentaires pour remarquer les pieux qui ornent le mur et me viennent droit dessus.

Fuir ! Il me faut partir !

Je me retourne, tâtonne la cloison, mais rien, j'essaie même les poignées des leurres, forcément pas d'issue.

Une angoisse pure, celle de l'animal acculé me gagne. Les échalas ne ralentissent pas, je ferme les yeux alors que je me sens pourfendu de part en part.

Toutefois, je ne meurs pas, la douleur se répand en vagues impitoyables de chacun de mes membres meurtris. Je n'ose même plus geindre. Les vibrations de ma voix rendaient les choses encore plus pénibles.

Pendant un moment, je cède au désarroi d'être pris au piège autant dans la conscience de mon agonie que seul dans ce couloir. Puis, je finis par me rappeler le pourquoi ma présence et qu'il me faut lutter.

Je remue, faisant fi de la souffrance, je tente de repousser le mur. J'y mets toutes mes forces. Je gronde, j'essaie d'exsuder mon aura. Ça dure... Ça dure, une éternité. J'ai l'impression d'y passer des heures.

À force, je ne sais vraiment pas par quel procédé, mais la cloison s'en va et mes blessures disparaissent. Je ne m'accorde même pas une pause alors que je suis épuisé. J'ai peur que ce lieu me sape des forces justes avec le temps qui passe.

Je décide d'avancer pour trouver où mène ce fameux couloir.

J'avance. Encore. Le bout ne me semblait pas si loin. Je veux bien croire que la tapisserie rouge fasse un effet d'optique, mais au bout de plusieurs minutes, j'ai l'impression que la fin du couloir est toujours aussi inatteignable.

Je me retourne et réalise que mon point de départ n'est qu'à six mètres derrière.

Quel est ce lieu ?

Quand je regarde en arrière à nouveau estimer la distance avec ma destination. Le mur de pieux approche encore.

J'ai un moment de panique, une envie d'aller me carapater au bout, dans un vain espoir d'éviter la collision. Puis, je décide de faire le contraire et de faire face à ma peur. Je fonce vers les épieux !

La rencontre est d'une violence inouïe, un de mes bras est presque arraché et mes hanches sont disloquées, en plus de tout le reste qui est transpercé et immobilisé.

Un grondement féroce m'échappe, je me débats avec le bras intact. Je ne sais pas dans quel jeu pervers j'ai débarqué, mais le créateur ne sera pas déçu du voyage si j'y tombe dessus. La colère me donne des ailes et m'aide à me détacher de la douleur déchirante, des sensations pénibles, du sang qui dévale ma peau, de mes organes à l'agonie, de mes poumons qui se remplissent mal de l'air que j'inspire avec saccade. Il me faut me sortir de ce piège. Mes frères. Kate. Je les appelle dans mes pensées, avec un peu de chance ils saisiront un écho, nous sommes supposés ne faire qu'un !

Après un moment indéfini qui m'a paru beaucoup trop long, le mur recule à nouveau. Je le poursuis clopin-clopant le temps de guérir, mais il me sème.

Frustré, je ne lâche rien, mais impossible de voir le bout de ce maudit couloir. Quand la palissade prête à m'empaler arrive encore, je l'attends, en essayant de limiter les dégâts.

C'est un échec.

La douleur est violente et m'arrache même un haut-le-cœur. Mon corps recouvert de sang et de sueur, je recommence mes manœuvres comme les deux fois précédentes..

Le manège se répète. Encore et encore. J'ai perdu le compte à vingt-trois.

Je suis épuisé, mais quelque chose me dit que rendre les armes c'est perdre et passer le restant de mon existence ici.

Le mur m'abandonne moribond à nouveau. Je tombe à genou et je cherche à trouver une conscience, n'importe qui. Suis-je condamné à demeurer seul ? Dois-je accepter qu'essayer de se jouer de la mort, c'était trop pour nous et complètement stupide ? Est-ce que je dois comprendre que j'ai entraîné mes frères à vivre des tourments pour l'éternité ?

Je repense à la douleur que m'a fait éprouver Ilaria en cherchant Run et Suny et la colère grandit en moi. Comme un bain bouillonnant, elle prend de l'ampleur, gronde et remplit toute ma cage thoracique, comme si physiquement j'avais un énorme cri à sortir. Elle se superpose à l'impuissance et prend le dessus. Je l'alimente. Je vomis mon aura d'alpha, même s'il n'y a rien d'autre que moi à soumettre ici.

Le sol avec sa moquette rouge, comme imbibée de tout le sang que j'y ai perdu, se met à trembler. Les murs aussi. Alors je continue. Le mur revient et dans un grondement inhumain, sortant de plus profond de mes tripes, je sors toute ma frustration. Le rempart et ses piquants se figent. En colère, j'en saisis deux et je pousse pour le faire reculer. Le tout se désagrège entre mes doigts. Le parquet commence à céder sous mes pieds, sans réfléchir, je m'élance en courant. Certains de mes pas sont faits au dernier moment et le sol qui se dérobe est à un cheveu de m'avaler dans sa noirceur à plusieurs reprises.

Au fil de ma course folle, le décor change et je parviens dans un couloir plus lumineux. L'effondrement cesse enfin, me permettant de prendre mes marques. Mon nouvel environnement est peint en bleu et reste palpable ! Tout en continuant à avancer, mais à allure plus mesurée, je finis par remarquer sous mes pieds une plaque en verre d'où s'échappe de la lumière.

Une drôle d'angoisse me serre la poitrine, je me mets à genou pour mieux y voir et ce que je découvre me glace.

Run est nu, allonger sur un engin de torture qui l'écartèle. Il est stoïque, alors que ses bras ont déjà lâché. Son regard est vide, pourtant, je suis certain de ne pas être devant une vision. C'est lui ! Je tape comme un forcené sur la vitre, mais il n'y a rien à faire. Il ne réagit pas et le rempart ne veut pas céder. Il me faut trouver un moyen de rentrer là-dedans.

Je relève la tête, pour dénicher un escalier, un ascenseur, ou une porte quelconque pour descendre. Je remarque qu'il y en a plusieurs, je me jette sur la première. Je tombe face à un mur, je m'apprête à la refermer quand j'entends un geignement. Je note à ce moment-là la petite grille de seulement dix centimètres de haut au-dessus du sol. Je n'ai même pas fini de m'accroupir que je constate que du sang tache la moquette violette. En m'aplatissant, le cœur au bord de l'explosion, c'est sur le regard vert de Hemza que je tombe.

— Hem ! Bordel, Hemza ! paniqué-je. C'est Lyas, bat-toi ! Tu peux être plus fort que la torture ! Mets-toi en colère ! J'ai trouvé Run, mais je n'ai pas réussi à l'atteindre, je vais avoir besoin de ton soutien. Pense à ce que tu ferais au connard qui s'amuse à l'écarteler depuis sept ans ! Accroche-toi à ça. Exsude ta rancœur et sort de là ! Il le faut pour aider les autres !

Je continue à l'encourager, alors que le plafond et le tas de peluche ou d'habits, je n'ai pas bien vu, disparait.

— Lyas, finit-il par coasser. C'est vraiment toi où c'est cet endroit qui se joue de moi ?

— Je te promets que c'est moi. J'ai réussi à détruire le mur qui m'empalait. J'ai balancé la sauce. Comme aurait dit Suny, j'ai pissé sur tout ce qui m'entourait et ça a marché.

— Je vois ! Va chercher les autres, je vais finir par m'en sortir !

— T'es sûr ? m'inquiété-je.

— Oui ! Suny et Run doivent être désespérés, il faut les trouver ! Moi, je me sens déjà mieux. Depuis que tu m'as parlé ; j'ai repris un peu de force.

J'accepte de le laisser. Je ne sais pas si le temps presse, mais je préfère le croire et me dépêcher.

Les Meutes - Tome 2 : Défendre sa PlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant