Mr. & Mrs. Spike (Tome I)

Mission 23 : Admirer les étoiles avec toi

Sans que je la voie venir, la nuit est tombée. Depuis déjà une petite heure, la lune répand son éclat argenté sur Scarlet Hollow, entourée d'une armée de petites étoiles scintillantes. Cette lumière froide, crue, nimbe le jardin d'une nuance presque irréelle.

Le seul bruit qui résonne à présent dans ce silence mystérieux est le grincement de la balancelle qui s'agite sous mon poids. En avant, en arrière. Son mouvement régulier m'apaise. Les discussions se sont taries il y a à peine une dizaine de minutes. Et pour cause : Alicia, malgré sa résistance, s'est laissé emporter dans les bras de Morphée.

Lorsque je relève la tête, un tasse fumante apparaît devant mes yeux. 

— Je peux m'asseoir à côté de toi ? me demande doucement Erik.

J'acquiesce en saisissant le thé qu'il m'a préparé. À défaut de café, il se contente d'un chocolat chaud. 

Lorsque je trempe les lèvres dans ma boisson, je suis étonnée de constater qu'elle est exactement comme je l'aime. L'assassin ne mentait pas : il note précieusement chacune de mes habitudes dans un coin de sa tête. Ça pourrait être effrayant, mais ça ne l'est pas. C'est sa manière à lui de me prouver qu'il s'intéresse à moi.

Ouais, autant qu'à toutes ses cibles. Puisque j'en suis une.

Avec le temps, il ne fait plus aucun doute que son talent pour l'observation dépasse largement le mien. Il est tel un animal apeuré qui aurait passé des journées entières à étudier les humains qui le menaçaient, à la fois pour mieux déceler leurs faiblesses et pour s'adapter maladroitement à eux. Pourtant, il demeure incapable de me cerner correctement, comme si sa vision, malgré son acuité, se heurtait sans relâche au flou que je représente.

Sous son poids, le balancement s'accélère, manquant de renverser nos boissons. Mais très vite, il n'en devient juste que plus ample.

D'un geste de la tête, je désigne la jolie blonde allongée sur le canapé extérieur, parée d'une couverture bien chaude. L'air s'est rafraîchi drastiquement, au point que je frissonne.

— Elle s'est endormie, soufflé-je, de crainte de troubler ce silence paisible.

Erik observe un instant les poils qui se hérissent sur mes bras, avant de me tendre sa veste en cuir verte sans un mot. Celle-là même qui met en valeur ses yeux. Je l'accepte avec un sourire timide, bien consciente qu'il risque d'attraper froid par ma faute.

— Tant mieux. Cette fille parle beaucoup trop, elle m'a filé un putain de mal de crâne, finit-il par me répondre.

Au lieu d'enfiler sa veste, je la pose sur mes épaules et me rapproche d'Erik pour la partager avec lui. Autant dire qu'elle ne recouvre même pas la moitié de son dos, mais peu importe. L'intention y est.

Notre proximité l'étonne. Elle nous enferme dans une bulle, que l'assassin paraît soudain avoir peur de briser.

— Alicia ne pourrait-elle sérieusement pas te plaire ? m'enquiers-je, malicieuse.

Il me considère avec un sourire en coin, le premier que je lui découvre.

— Dans une autre vie, peut-être. Et si elle l'ouvrait moins.

Je ris discrètement.

— Mon flair ne m'avait donc pas trompée. Tu aimes ce genres de nanas, innocentes, impressionnées par ton charisme, le nargué-je en le bousculant affectueusement.

— Il paraît que tu ne t'es pas trompée sur grand-chose, rétorque-t-il aussitôt.

Je lui jette un coup d'œil intrigué.