Mr. & Mrs. Spike (Tome I)

Mission 38 : Te retenir

Paul nous a réveillés tôt ce matin.

Il n'a même pas pris le temps de préparer un petit déjeuner décent avant de débarquer en fanfare dans notre chambre. Par chance, nos corps enchevêtrés et repus étaient encore plongés dans un sommeil récupérateur. Il n'a eu l'occasion que d'apercevoir les cuisses musclées de l'assassin allongé à côté de moi, et non son sexe dressé contre mes fesses. Tandis que mon ami s'efforçait de nous tirer du lit avec des exclamations beaucoup trop enthousiastes, Erik grognait contre mon oreille qu'il allait le tuer afin qu'on puisse poursuivre nos activités de cette nuit. En le sentant s'agacer, je me suis finalement arrachée à la chaleur des draps.

Me voici donc, un mardi de bonne heure, dans une maison vide de Scarlet Hollow, celle-là même dans laquelle mon partenaire de mission a « interrogé » les espions. Des taches – que dis-je ? des flaques – de sang séché maculent encore le sol à l'endroit où leur tête a été coupée. Et au milieu de cette vaste pièce gelée, Aimée. Bâillonnée et ligotée sur une chaise branlante. Elle porte un hématome à la joue, cadeau de notre cher Paul, qui s'est chargé de l'enlever alors qu'elle se rendait au travail.

Dès qu'elle nous aperçoit, son regard s'assombrit.

Ne se doutait-elle pas que nous étions responsables de son enlèvement ?

Les bras croisés, je me plante devant elle, pas très à l'aise à l'idée de lui faire du mal. Déjà, je n'imaginais pas que le plan de mon mentor consisterait à la retenir en otage. Naïvement peut-être, je pensais qu'il userait de techniques moins directes en faisant jouer ses relations. Un appel de son patron pour l'éloigner, l'hospitalisation temporaire d'une de ses connaissances, quelque chose dans le genre... Mon seul objectif est de la tenir à l'écart pendant quelques jours. Espérons qu'elle ne provoque personne, parce qu'à en juger par l'attitude de Paul, il est plus que prêt à s'amuser avec elle...

Sans douceur, il attrape ses cheveux emmêlés et tire dessus pour la forcer à croiser son regard. Un sourire sadique naît sur ses lèvres lorsque l'expression de sa prisonnière se durcit encore davantage. Si elle pouvait, elle se jetterait sur lui pour le déchiqueter à belles dents.

Pourtant, même dans cette position, elle garde une élégance et un calme dont peu de personnes peuvent se targuer. Elle semble si digne, si parfaite, même alors que du sang séché colle ses mèches blondes contre ses tempes. Elle convient tout à fait à Scott, si bien que je me demande comment il a pu ne serait-ce qu'envisager de s'intéresser à moi.

Au moment de lui ôter son bâillon, Paul jubile. Au moindre mot de travers, il libérera la bête enragée, tapie au fond de lui, qui se plaît à faire souffrir les autres.

— J'aurais dû me douter qu'il n'y avait que l'agence Silence pour user de méthodes aussi déloyales, commence-t-elle avec une voix tremblante de colère.

En la dévisageant, je ne ressens qu'une profonde lassitude. Tous ces petits jeux entre agences m'épuisent. Séduire mon voisin me peine. Fuir la mort m'angoisse. Après la nuit fabuleuse que je viens de passer, je n'ai aucune envie de me replonger dans tout ça. Je n'ai plus la force de lutter.

— Ne me dis pas que tu t'es déjà lassée d'essayer de rivaliser avec moi ? Tu en es venue à penser que le seul moyen de réussir, c'était de m'enlever à Scott ? Tu es pathétique, ma pauvre fille, me lance-t-elle.

La gifle qu'Erik lui assène me sort de ma torpeur. Il faut que je joue mon rôle encore quelques jours. Juste quelques petits jours. Après, il n'y aura plus de séductrice, il n'y aura plus d'Amanda Spike. Quoi qu'il arrive, notre mission prendra fin cette semaine.

Toutefois, il est hors de question que tout ceci ait été vain. Je ne supporte pas l'idée d'avoir blessé Erik pour tout abandonner au dernier moment. Nous devons aller jusqu'au bout, quitte à y laisser encore un peu de notre âme.