Mr. & Mrs. Spike (Tome I)

Mission 43 : Dépasser la honte

Lorsque Erik et moi redescendons les escaliers, main dans la main, Paul nous dévisage avec étonnement.

Pour autant, il n'émet aucun commentaire et continue de siroter son thé sur le tabouret du bar. Ce qui ne fait que rajouter à son charme typiquement anglais.

Comme si sa veste à carreaux en tweed ne suffisait pas...

Tandis qu'Erik prend place sur le canapé, devant son ordinateur, déterminé à percer les secrets des clés USB, je rejoins mon ami.

Je ne m'assieds pas sur un tabouret. Je me contente de me pencher sur mes coudes, curieuse d'entendre ce qu'il a à dire.

— Décidément, tu sais jouer de tes charmes... remarque-t-il avec un sourire en coin.

Il ne s'attendait pas à ce que mon histoire avec Erik reparte aussi vite.

Moi non plus.

D'autant qu'il sait ce que l'assassin a enduré. Il était à ses côtés, dans cette maison vide, pendant que mes soupirs et les grognements de Scott résonnaient entre ses quatre murs. Il a eu l'opportunité de saisir l'ampleur de son attachement pour moi à chaque crispation, à chaque grimace, à chaque respiration pénible.

Ma honte se ravive, plus dévorante que jamais.

Quand j'étais perdue dans le moment avec Scott, c'était presque facile d'oublier qu'Erik nous surveillait. Mon corps retrouvait ses vieilles habitudes. Mon esprit a cessé de réfléchir pour enclencher le pilote automatique, comme toutes ces fois où j'ai laissé des cibles me toucher pour parvenir à mes fins. Il y avait presque quelque chose de rassurant dans le fait de savoir que je pouvais encore être cette Amanda-là.

Du moins le pensais-je.

Seulement, dès que le moment a pris fin, d'horribles émotions m'ont explosé à la figure. Des émotions que je n'avais jamais ressenties après avoir couché avec quelqu'un. Le ressac a été brutal, si brutal qu'il m'a fait vomir.

Encore maintenant, je me retiens de frotter mon corps à la râpe pour en ôter toute la couche superficielle. Partout où Scott m'a touchée. Parce que, même si Erik a tenté d'effacer ces traces invisibles, je les ressens encore. Elles me brûlent. Elles me blessent. Elles m'empoisonnent de l'intérieur.

Je me sens corrompue. Comme si un liquide noir, chargé de vice, de culpabilité et de dégoût, coulait dans mes veines.

Pourtant, je ne le montre pas. Je ne le montre jamais. J'attends toujours que mes souvenirs me noient pour tout ravager. Je garde tout à l'intérieur en comptant sur mes addictions pour endiguer ce qui menace de déborder. Sauf que c'est impossible.

Après Charles, je me suis réfugiée dans le crime, puis le sexe. Maintenant que je sens la honte meurtrir derechef ma chair, quelle pourra bien être ma nouvelle échappatoire ?

Mon silence morne interpelle Paul. Avec tout le sérieux du monde, je lui réponds finalement :

— Je ne joue pas.

— J'avais cru le comprendre.

Il se tourne dans ma direction.

— Je crois bien ne t'avoir jamais vue comme ça avant.

Avant...

J'ai l'impression qu'il m'a connue dans les pires moments de mon existence. Qu'il n'a jamais eu la chance de découvrir cette autre facette de ma personne, moins tourmentée. Celle qu'Erik a su entrapercevoir pendant les quelques accalmies.

Durant tant d'années, Paul m'a vue infliger les pires supplices aux cibles qu'il me confiait. Il a été le témoin de l'horreur que la déception et la trahison peuvent engendrer au sein d'un esprit faible comme le mien.