Chapitre 4

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Je n'sais pas où je vais, ni vers quoi je vais
Mais j'avance tout droit, toujours tout droit

[...]

Et je compte jusqu'à trois
Oh-oh, oh-oh, oh-oh, oh-oh, oh-oh
Saute

Saute
Barbara Pravi

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      Cela faisait maintenant bien cinq heures qu'Icélos et Éris, à l'avant d'une voiture mise à disposition par l'armée, se relayaient pour conduire. Les plans indiquaient au moins un mois de marche pour arriver au palais d'Eusthenia. Le véhicule leur permettrait sûrement de réaliser le trajet en quelques jours. Celui-ci ressemblait, au premier coup d'œil désintéressé, à un étrange carrosse à moteur, sans chevaux. Il avait tout d'une voiture des années vingt, sauf peut-être les ceintures de sécurité, les airbags, un kit mains libres Bluetooth et surtout d'énormes pneus de tracteur qui le rendaient presque aussi haut qu'un bus à deux étages.

       Sur les deux banquettes qui se faisaient face à l'arrière était installé le reste de la fine équipe. Personne ne s'était encore vraiment parlé. Il faut dire que le soleil venait tout juste de se lever et que jusqu'alors, ils avaient pour la plupart plutôt tenté de rattraper leur nuit de sommeil. Odilon avait tout de même essayé de briser la glace au tout début du voyage, en s'adressant à Gaïa et Atys assis juste devant lui.

       — C'est fou hein ! Vous vous ressemblez comme deux gouttes d'eau, on jurerait que vous êtes—

       — Jumeaux ? le coupa froidement Gaïa.

       — Oui oui voilà c'est ça exactement ! fit-il gaîment.

       Les deux jeunes gens placés devant lui se turent bruyamment, chacun de leur visage vide fixé sur lui. Le sourire en train de se décolorer, Odilon ne comprenait franchement pas pourquoi quatre yeux beaucoup trop clairs et décidément très similaires lui perforaient le regard. Après ce qui parut être trois éternités, la compréhension, en sueur, porte-documents à la main et veste au bras, toqua enfin à la porte de son cerveau.

       — Ah.

       La postérité applaudira tout de même le magnifique effort du petit blond sans pouvoirs visiblement affublé d'une carence de rapidité de traitement des informations.


       Heureusement pour lui, le Pont de l'Oubli se présenta rapidement devant la troupe. Ils avaient quitté la ville depuis un bon moment et allaient à présent traverser ce passage naturel de plusieurs kilomètres de long après lequel ils ne trouveraient plus aucune trace de civilisation pour un bon moment. Un individu lambda (de ceux qui baissent le niveau de la radio pour trouver une place de parking par exemple) aurait pu croire que l'endroit avait été nommé par un esprit illuminé ayant miraculeusement formé un lien avec l'aspect terrifiant et mortel de l'endroit. Cependant la réalité était tout autre. Il y avait à cet endroit, il y a déjà plus d'années qu'on ne pourrait compter sur les doigts de ses pieds, une bicoque où une bonne femme dont le visage était fendu par une cicatrice rouge vif vendait de l'Oubli. Il était en effet de notoriété publique que les habitants de Pathopée n'étaient pas les plus heureux des cinq Terres, même si personne n'en parlait. Alors devant un certain pont en bordure de Pathopée, les malheureux faisaient semblant de rien, feignant réfléchir à ce qu'ils commanderaient pour leur déjeuner alors qu'ils se suivaient à la chaîne dans la queue qui serpentait entre les arbres jusqu'au food truck dont on disait qu'il vous ferait oublier toutes vos peines. Il est aujourd'hui forcément difficile de savoir précisément ce que vendait cette femme. Les clients ont oublié. Clairement, le produit était efficace. Certains parlent d'un élixir fumant, d'autres d'une dragée au goût de purée. Mais la vérité se trouve certainement entre une des deux propositions suivantes : un câlin chaleureux ou un bon coup de coude sur la tête.

À ces âmes égaréesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant