ELLE
J'ai beau ressembler à une vagabonde, avec ma fille, ma poussette et mes dizaines de sacs qui ballottent de toutes parts, ici, personne ne me regarde. Les habitants de Beverly Hills ont l'habitude des artistes de rue, des vieux hippies et des jeunes hipsters, des gens de passage, des touristes qui viennent, qui repartent, et de tous ceux entre les deux. Dans ce petit monde sélectif , tout le monde semble le bienvenu tel qu'il est. Je pourrais paniquer de me retrouver à nouveau à la rue, livrée à moi-même, mais je me laisse envelopper par la douceur de vivre ambiante. Même Hope s'émerveille d'un rien, s'ouvre à tout, pointant du doigt les passants, les vitrines, les animaux qui croisent notre passage. Je marche lentement, je n'ai rien à fuir.
Je berce ma fille qui s'affale dans sa poussette, abandonné à son sort lui aussi. En paix, pour une fois, toutes les deux, on profite du décor, de l'odeur épicée qui s'échappe des restaurants , de cette lumière si spéciale qui donnent l'impression que tout est possible. Moins difficile qu'ailleurs.
Ici, c'était le paradis que je m'étais choisi pour vivre avec Spencer . Pour nous reconstruire. Je suis peut-être naïve. Peut-être désespérée. Mais j'y crois.
Après le tour de manège promis à Hope, nous faisons une halte chez un vendeur de vélos d'occasion. L'idée m'est venue comme ça. Ce sera moins cher qu'une voiture, moins contraignant aussi. Rien de tel pour profiter du plein air et vider nos têtes de toutes nos idées noires.
Pendant de longues minutes, je négocie âprement pour installer le siège- enfant le plus sûr sur le vélo le moins cher du magasin. Mais le vendeur me propose soudain un vélo-cargo dont il a sûrement du mal à se débarrasser. Une vieille bicyclette noire à guidon haut, avec une remorque en bois jaune pastel fixée à l'avant. De quoi contenir tout mon barda et promener la petite en toute sécurité, bien harnachée à l'intérieur. Je dépense un peu plus que prévu, mais je suis vite récompensée : en prenant de la vitesse sur Mimo Street, puis en longeant la route vers Santa Monica , j'entends Hope rire aux éclats sans plus pouvoir s'arrêter. Et me crier des « maman ! » à n'en plus finir . Le vent s'engouffre à travers les vitres en plastique et ses boucles brunes volettent dans tous les sens. Je ne sais pas si elle a hérité ça de son père, mais Hope a toujours aimé la vitesse, l'adrénaline, les sensations qui la grisent et la libèrent. Je suis heureuse de voir mon petit sucre d'orge prendre goût à la vie, de pouvoir étancher un peu sa soif de liberté et de folie. Pour une fillette, elle est quand même un peu garçonne : elle adore les petites voitures .
Je n'ai pas vraiment eu de père, je n'ai que ma mère et n'ai presque jamais vécu avec elle. Alors, depuis un an et demi, je n'ai qu'une seule idée en tête, une obsession, un seul but dans la vie : ne pas briser Hope. Ne pas éteindre ce soleil qui n'a rien demandé, qui est né pour briller. Être la meilleure mère possible pour lui. Sans père, sans aide, sans grand-chose à lui donner, je ne sais pas si j'ai réussi. Mais je n'ai jamais arrêté d'essayer. Et c'est pour elle que je pédale aussi vite et aussi fort que je peux, c'est pour elle que je me bats, c'est pour elle que je suis revenue ici. Pour que ma fille ait une chance supplémentaire.
Il y a cinq ans, une éternité, quand j'ai atterri ici, elle m'a ouvert sa porte. Elle vivait dans une petite bicoque . Elle m'a accueillie, moi aussi, quand je n'avais plus nulle part où aller, quand l'immigration menaçait de taper à ma porte à tout moment . Mon cœur et son cœur parlent la même langue. Sa vieille âme et la mienne se comprennent. Nos têtes sont aussi dures, nos peaux faites du même cuir tanné et increvable. Elle est un peu moi, je suis un peu elle.
– Tu en as une belle carriole ! me lance Sandrine qui m'ouvre avant même que j'aie eu à sonner.
– Je reviens de chez Spencer et j'ai pas pris ma voiture. Ceci, je fais en montrant ma carriole, est ma toute nouvelle acquisition

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The black lady II
Любовные романыElle est arrivée dans un pays étranger sans le sous mais cela ne l'a pas empêchée de poursuivre ses rêves. Malgré les difficultés d'adaptation, Naya Kane désormais Naya Kane-Porter vit sa vie comme elle l'entend. Après avoir découvert le poteau ros...