I. 4.

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4. Les meurtrissures d'un passé déjà trop effacé

MIRABEL

La rencontre avec ma famille au complet fut une véritable fête que je n'avais absolument pas prévue. On regardait la femme blessée avec des yeux rieurs, des moues entendues et complices. J'avais malheureusement parlé à Dolores de ce que j'avais pu voir entre Arieta et notre oncle. Il n'a pas fallu une soirée pour que la nouvelle fasse le tour de la maison. Alors il était normal que tout le monde veuille voir à quoi ressemblait celle qui plaisait tant à Bruno.

Cette absence d'ombre suscitait aussi la curiosité de la foule, mais personne, absolument personne, n'eut l'indélicatesse de le faire remarquer. Ma mère n'attendit pas avant d'ordonner à ma sœur de poser la blessée. Notre maison amena un siège dès qu'Arieta eut passé le seuil.

— Je vous assure que vous faites une montagne de pas grand-chose, minimisa la femme du moulin.

— La cheville est déjà enflée, répondit Julieta, c'est loin d'être « pas grand-chose.» C'est une entorse et cela fait mal. Tenez, mangez cela.

— Je vous assure que...

Elle s'arrêta de ronchonner une fois un morceau de tortilla dans la bouche. Elle mâcha, pensant qu'elle pourrait sans doute se plaindre une fois sa bouchée avalée. Elle s'arrêta d'un coup, les yeux ronds. Elle leva le doigt en signe d'attente et, après avoir savouré, dit :

— Si je dois au moins vous accorder quelque chose, c'est que je n'ai jamais rien goûté d'aussi bon.

— Venant de quelqu'un qui a beaucoup voyagé, qui a dû essayer un tas de plats à travers ses périples, cela me touche beaucoup, répondit ma mère avec modestie.

— En vérité, je n'ai pas réellement mangé à ma faim tous les jours, avoua Astillas DeVidrio. Mais c'est une autre histoire. Merci beaucoup pour ce que vous avez fait pour moi. Que puis-je faire pour honorer ma dette ?

— Restez avec nous pour manger, proposa ma mère. Après tout, plus on est de fous, plus on rit, n'est-ce pas ?

Esteban et Sofía firent les yeux doux et Arieta se sentit mal de refuser. Au même moment, mon oncle arriva en catastrophe. D'accord, il fit de son mieux pour ne pas trahir les sentiments qu'il entérinait depuis le début, mais tout de même, il n'y avait que les habitants du moulin qui ne le connaissaient pas suffisamment pour s'en apercevoir.

— Vous allez bien ? s'enquit-il.

— Tout va très bien, dit-elle en souriant. Grâce à votre sœur, d'ailleurs ! Contente de vous revoir, dans tous les cas.

Finalement, nous nous dispersâmes tous les uns les autres, pour les laisser parler entre eux. Mes cousins firent visiter la maison à Sofía et je restai avec Esteban, bien moins curieux et plus posé que sa sœur.

C'était agréable de passer du temps avec lui, c'était si facile de lui parler. Il était toujours discret et serviable, il parlait d'une voix douce et faisait preuve de beaucoup de réflexion à chacune de ses phrases. C'était comme s'il pesait chacun de ses mots.

— Je me demandais, dis-je soudain, comment vous avez rencontré Arieta ? Vous n'êtes pas parents, mais vous vous connaissez bien de quelque part, non ?

— Oh, fut surpris mon compagnon, tu... Tu veux vraiment savoir ? C'est loin d'être une histoire drôle, tu sais.

— J'aimerais juste... Te connaître un peu plus, mesurais-je mes mots. Tu viens de tout découvrir de ma vie en l'espace de quelques instants. J'espérais en savoir plus sur toi.

Entrelacs Verts ÉmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant