IV.2.

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2. Tout cela parce qu'on n'est pas exactement comme le commun des mortels

MIRABEL

Notre première nuit à Santa Obstacúlo ne fut pas agréable. Pour ma part, mon sommeil fut particulièrement agité : l'image de la foule que nous avions affrontée la veille ne me quittait pas. Elle hantait tellement mon esprit et je ne parvenais pas à retrouver ma quiétude. D'un naturel optimiste, j'avais exceptionnellement beaucoup de mal à trouver quelque chose de positif à cette situation.

Esteban me garantit pourtant qu'il était le seul de sa famille à ne pas subir les remontrances des habitants du village. C'était donc lui qui avait l'autorisation de se balader dans les rues en contrebas, de prendre de quoi nous nourrir... Malheureusement, cette fois-ci, même lui en souffrit. Moins que les autres, toutefois.

Quant à nous, nous n'avions pas vraiment le choix : nous devions rester ici. Sous autorisation d'Arieta, Luisa avait eu le droit de s'occuper de travaux sur les lieux, préparer ce qu'il fallait pour réparer la bergerie, porter les poutres, les pierres... Ce qui lui donnait au moins un peu de travail. Isabela, Camilo et Bruno s'occupaient surtout de Sofía et de la maitrise de son pouvoir. Dolores partait souvent dans les montagnes pour se complaire dans le silence et ramenait de temps en temps des plantes qu'Ari avait décrites pour soulager Consuelo. En résumé, j'étais la seule à n'avoir rien à faire et, même si j'avais eu l'habitude de m'occuper seule, cela devenait pesant.

Quant à la jument que nous avions sauvée, elle se remit de son coup de chaud au bout de deux jours. C'était une créature charmante, farouche, mais gentille. Arieta l'examina en détails et déclara que si l'animal avait tant de mal, s'il souffrait tant, c'est parce qu'il ne devait pas travailler : la jument était gestante.

Aujourd'hui, nous eûmes d'ailleurs une conversation à son sujet. Après tout, nous nous retrouvions avec un cheval qui ne pouvait décidément pas rester ici, que nous ne pouvions confier à personne.

— Qu'est-ce que tu comptes faire ? demanda le jeune homme à sa tutrice, inquiet.

— C'est vous qui l'avez ramenée, décréta Ari, alors c'est à moi de vous poser la question.

Esteban me fixa, je regardai Luisa, elle-même se tournait vers mon ami : nous n'avions pas réfléchi à cela.

— Bon, en attendant de trouver une solution, décida Arieta, je vais l'emmener sur les flancs de la montagne. Je devais aller montrer à Pablo comment diriger les troupeaux avec les chiens. Cela lui fera du bien de paître un peu, elle aussi.

Je soupirai, encore une journée dans la solitude et l'ennui. L'inventrice remarqua mon attitude et, tandis qu'elle attachait la jument, elle me proposa :

— Et si tu venais avec moi ?

— Vraiment ? m'étonnai-je

— Tu as deux jambes, tu sais marcher. Si tu n'as pas peur des alpagas, tu te plairas.

— Laisse-moi le temps d'enfiler mes chaussures ! réclamai-je.

C'était toujours mieux que rien, alors autant accepter. Nous marchâmes quelques minutes en amont des collines et arrivâmes sur des prairies à perte de vue. Plus haut, un jeune homme avec deux chiens. Entre nous, des dizaines d'alpagas ! D'accord, il y avait quelques moutons, aussi, mais c'était anecdotique.

— Je te présente ce qu'il reste du troupeau de Consuelo, dit Arieta avec nostalgie.

— Ce qu'il reste ? n'en crus-je pas mes oreilles. Tu veux dire qu'il était plus grand que cela ?

Entrelacs Verts ÉmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant