I. 9.

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9. L'esprit de son grand-père ne reviendra jamais plus la hanter.

SOFÍA

— Alors, tu es sérieuse ? On reste ? insistai-je alors que nous quittions la maison pour rejoindre le moulin.

— Ne dis pas que tu as seulement dit ça pour apaiser les tensions, je ne te croirai pas ! lança mon frère en arrière.

— Non ! s'opposa Arieta. Enfin, si, j'ai dit que je ne comptais pas partir de si tôt pour les rassurer, mais je le pensais ! Si cela vous convient, bien sûr. Vous aviez l'air de tellement vous plaire, ici, c'est un peu ça qui me convainc d'essayer.

— Parce que tu ne te plais pas, toi, peut-être ? ironisai-je. Je ne t'ai jamais vue aussi proche de qui que ce soit.

— Au vu de ce matin, en rajouta Esteban en pouffant, je dirais même « très, très proche. »

Nous rîmes tous les deux alors que, une fois n'était pas coutume, Arieta s'empourpra.

— C'était un moment très peu convenable de ma part, s'excusa-t-elle. Cela ne se reproduira plus. C'est une grossière erreur que je ne dois pas reproduire.

— Attends, ça ne t'a pas plu ? fut étonné mon jumeau en s'approchant davantage de notre tutrice.

Elle était incapable de mentir, elle détestait cela. Aussi, elle n'avait pas d'autre choix que de raconter la vérité.

— C'était... agréable, avoua-t-elle à contrecœur. Malheureusement, je ne peux pas, c'est comme cela. Je suis faite pour vivre seule.

— Tu dis ça à cause de cette malédiction que ta mère t'a donnée ? l'interrogeai-je.

— Techniquement, précisa-t-elle, elle vient de mon grand-père, cette malédiction. D'accord ? Et pour répondre à ta question, oui, c'est en partie pour cela : c'est une question de logique. Ma mère a pu contrer le mauvais sort en renonçant à l'héritage de son père, je compte renoncer également aux propositions alléchantes que cet homme fourbe et malsain m'a faites. On est maudit sur trois générations, je suis la seule de la deuxième. Donc, si je calcule bien, en renonçant à avoir une vie de famille, j'épargne à mes enfants de lutter une dernière fois. J'enraye le processus et l'esprit de mon grand-père ne reviendra jamais plus nous hanter.

— C'est injuste, souffla Esteban.

Il enserra le bras d'Arieta pour attirer son attention. Il lui faisait le coup depuis tout petit et cela marchait à chaque fois : elle l'écoutait et cédait parfois à ses suggestions.

— Tu as quand même le droit d'être heureuse, dit-il. Qu'importe comment, mais tu le mérites.

— Vous aussi, mon grand, vous aussi... C'est pour ça que j'ai décidé de rester ici aussi longtemps qu'on ne nous retrouvera pas. Ce n'est pas parce que je dois rester constamment sur mes gardes que vous ne pouvez pas avoir un foyer stable. J'ai l'intime conviction qu'on pourrait trouver notre place, ici, qu'importe comment. Alors s'il y a un lieu où on peut essayer de chasser l'inquiétude et nos sombres passés, c'est bien ici.

— Est-ce que ça veut dire que tu vas t'ouvrir un peu plus aux autres ? la taquinai-je.

Prise au dépourvu et ne souhaitant pas passer pour une mauvaise personne, Arieta répondit en bredouillant.

— Je... je ne sais pas ! Pourquoi pas ? Peut-être bien !

— On en apprendra un peu plus sur toi, alors ? appuya mon frère.

— Je vois, comprit-elle, vous négociez. Très bien, négocions. Je promets de ne pas faire de cachotteries si vous vous comportez bien.

C'était souvent ce qu'elle proposait. Bien se comporter, alors qu'elle n'avait jamais eu le moindre problème avec nous. Elle s'en vantait un peu trop fréquemment d'ailleurs, que nous n'avions jamais été des enfants difficiles. L'ambiance s'allégea sur le chemin du retour et nous nous mîmes à converser de choses et d'autres, jusqu'à cette illumination.

Entrelacs Verts ÉmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant