IV. 11.

14 5 0
                                    

11. Tout aurait pu se finir comme cela

MIRABEL

La route dura bien plus longtemps pour notre retour. Nous n'étions plus si pressés et nous prenions un moment pour nous arrêter dès que la jument qu'avait ramenée Esteban le requérait. Quant à moi, depuis l'épisode de la chute d'eau, je demeurais isolée du reste du groupe. J'ignorais pourquoi j'avais été si touchée par la farce d'Esteban.

Je n'étais pas en colère, ni même vraiment déçue. En soi, j'aurais pu en rire aussi, en dépit des circonstances. Pourtant, la peur que j'avais ressentie sur l'instant, la détresse qui m'avait submergée tout à coup... pour cela, je lui en voulais beaucoup.

C'était la dernière nuit que nous passions en dehors de la maison. Nous comptions arriver tôt le lendemain matin. Je ne parvenais pas à retrouver le sommeil, alors je m'éternisai près du feu. Arieta décréta qu'elle allait faire un dernier tour des environs pour s'assurer que tout allait bien autour de notre camp de fortune. Puis, dans le calme, son fils adoptif me rejoignit. D'ordinaire, il aurait pris place à côté de moi, mais il préféra rester face à moi, dans un premier temps.

Le silence régnait, seulement interrompu par le crépitement du bois agressé par les flammes, ainsi que nos deux respirations.

— Tu es encore fâchée contre moi ? demanda-t-il enfin.

— Je ne suis pas fâchée, dis-je simplement.

— Contrariée alors ? tenta-t-il de comprendre.

— C'est ça, confirmai-je sans pour autant répondre à sa question de départ.

Là, assuré que je ne risquais pas de le frapper, certainement, il prit son courage à deux mains et vint plus près de moi. Mon pouls s'accéléra tout le long de son avancée, malgré moi. Une partie de mon cœur se battait avec l'autre : j'avais envie de me blottir contre lui sans raison, j'en venais même à en rêver la nuit, depuis quelque temps. L'autre partie de moi lui en voulait tellement qu'elle voulait retourner se coucher et le laisser en plan.

— Mirabel... prononça-t-il juste avant de chercher ses mots.

Je ne lui laissai pas le temps de les trouver.

— Tu m'as vraiment fait peur, 'Steban. Tu te rends compte que s'il t'était arrivé quelque chose ? Si tu avais fait une crise en plongeant, par exemple ? Comment on aurait pu t'aider, au fond de l'eau ? Tu te rends compte de ce que j'ai pu ressentir ? De tout ce que nous avons tous ressentis à ce moment-là ? De savoir qu'on t'avait peut-être perdu pour une bêtise ? Tu te rends compte d'à quel point ce que tu as fait m'a affectée ? J'ai vraiment cru que tu étais parti, j'ai vraiment cru que c'était fini... Bon sang, 'Steban...

Il passa le bras autour de mes épaules, tout doucement, il m'attira à lui et je me laissai faire avec un certain plaisir. Nous restâmes sans bouger quelques instants, savourant juste ce qu'il se passait.

— Je ne m'étais pas rendu compte que cela te tourmenterait autant, chuchota-t-il. Pardon... Je ne pensais pas que tu aurais peur pour moi, en tout cas, pas à ce point-là. Je regrette, vraiment.

— D'accord, soufflai-je, d'accord.

Lassée de mes rancœurs, je l'enlaçai d'un coup. Esteban me caressa le dos, je perçus aussi une main dans mes cheveux et il me berça tendrement. Je compris par la suite que les bercements étaient en réalité des sanglots. Il s'en voulait beaucoup, et ce, depuis presque deux jours de marche où je ne lui adressais plus la parole.

— Ça va aller, murmurai-je dans son oreille. Mais ne me refais jamais une peur pareille.

— Je sais, je sais. Pardon.

Entrelacs Verts ÉmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant