IV. 9.

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9. Il cherchait à engloutir l'air de la terre entière avant d'expirer une ultime fois

ARIETA

Mes yeux se fermaient, le calme me berçait, la nuit m'appelait...

Je sursautai. Bon sang, je m'endormais. Ce n'était pourtant que le début de cette longue nuit de veille qui nous attendait, mais je m'étais déjà assoupie. Quelle honte. Sans compter que je risquais probablement de voir prolonger cet instant plus d'une nuit...

— Tout va bien, Ari, dit une voix douce que je reconnus immédiatement. Tu as besoin quelque chose ?

Bruno, évidemment, qui d'autre ? C'était le seul qui entrait dans la masure avec moi, il s'était proposé d'emblée pour m'aider à veiller l'homme qui, bientôt, ne serait plus. Je veillais sur Consuelo, alors Bruno veillait sur moi...

— Je... Je crois que j'ai besoin d'un café, déclarai-je avant de me lever subitement.

Si je m'autorisais à mentir, j'aurais affirmé que j'allais bien et que je n'avais besoin de rien. Toutefois, ce serait entièrement faux. Alors, j'avais préféré ne pas répondre directement et prétexter cette envie soudaine de caféine : je n'en buvais que très peu.

Plus le temps passait et plus je me surprenais à songer que j'avais besoin de lui. De Bruno, pas le café. Cette façon qu'il avait de tourner en dérision les tourments du quotidien... Il était devenu un remède à mes souffrances. Alors dans mon esprit, quand il posa la question, la réponse première que j'eus en tête demeurait inavouable.

Tandis que j'essayais de passer les grains moulus dans l'antiquité qui servait de moulin à café à l'ancien berger, mon ami s'approcha et posa ses mains sur mes épaules. La chaleur diffuse de ses paumes me soulageait de bien des maux. Néanmoins, ce soir, ses doigts me serraient un peu trop fort, trahissant une certaine frustration. Qu'avais-je fait ?

— Tu n'es pas obligée de préserver tout le monde, dit-il.

Comment il pouvait savoir ? Que savait-il de moi, après tout ?

— C'est mon rôle, assurai-je. Je veux que tout le monde soit, peut-être pas heureux, mais en paix. C'est comme ça que je m'épanouis, ça fait quelque temps que je l'ai compris.

— D'accord, concéda-t-il, mais qui se soucie que tu sois, non pas heureuse, mais en paix à ta place ? Toi, pas les autres.

Je ne sus quoi répondre, alors que le café passait. Devais-je faire semblant ? Ignorer ? Rire ? Je me tournai vers lui pour le sonder et me rendis compte qu'il était plus près que je ne me l'imaginais.

Son faible sourire trahissait son embarras, il craignait encore de m'avoir froissée.

— Je n'ai pas forcément besoin que l'on pense à moi. Ma vie me convient comme cela, je suppose. Et puis, j'ai toujours été seule, c'est une chose à laquelle on s'habitue.

Il ne répondit pas, se contentant de me fixer, ou de m'admirer, je ne savais plus trop ce qu'il cherchait à faire présentement. C'était comme s'il attendait quelque chose de moi, mais que j'étais incapable d'appuyer sur le bon bouton ou d'actionner le bon levier pour déclencher la suite de la conversation.

Pour chasser le malaise qui semblait poser bagages, je pris un air léger, surjoué. Je n'avais plus que cela à faire.

— Parce que tu t'en soucierais, toi ? le taquinai-je.

— Si c'est ce que tu souhaites, je pourrais essayer, dit-il de but en blanc.

J'avais mal compris, je fronçai les sourcils pour chercher la traduction de cette phrase.

Entrelacs Verts ÉmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant