II. 3.

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3. Les convenances embrumées d'une illustre solitaire

ARIETA

— Pour la dernière fois et je vous le répète, ce n'est pas parce que je ne veux pas y aller que j'empêche Sofía ou Esteban de venir avec vous.

— Mais il faut que tu viennes ! insista Mirabel comme si c'était une question de survie. Tu ne peux pas rester seule dans ce moulin alors que tout le monde va s'amuser.

Elle était venue pour faire preuve de diplomatie avec l'une de ses sœurs. Enfin, elle le croyait, sincèrement.

— Si, je le peux, imposai-je. Pour preuve, je reste ici et personne ne pourra me faire sortir ne serait-ce qu'un mocassin de cette maison !

— Tu n'es pas obligée de danser ou de chanter pour participer à la fête, proposa Isabela.

— J'espère bien, m'offusquai-je, il ne manquerait plus que ça. S'il y a bien une chose que je ne fais pas, c'est bien ça.

— C'est faux, me vendit Esteban, tu chantes quand tu travailles, quand tu marches, dès que tu es toute seule...

— Tu me le payeras, Bában, déclarai-je en appuyant sur le surnom ridicule.

— Allez, Ari, rajouta Mirabel pour contourner la dispute naissante. Les jumeaux ont dit qu'ils n'iraient pas si tu ne venais pas.

— Je ne les ai pas forcés ! criai-je en espérant qu'elle comprenne.

J'étais en train de travailler sur un nouveau concept, une sorte d'anneau monté sur deux couches d'alliage différents, glissant l'un sur l'autre de façon fluide. Une sorte de bouton dépassait, me permettant de faire glisser l'anneau du haut d'un quart de tour à gauche ou à droite.

Pour le moment, ce n'était qu'une babiole, un instrument de décoration. Un bijou fantaisie, tout au plus. Cependant, je voyais en cette petite merveille un prototype à quelque chose de plus gros, pourquoi pas relié à un système d'aimant, qui pourrait actionner des machines bien plus conséquentes. Mes idées viraient parfois à l'obsession, il fallait que je les expérimente pour me sentir mieux et me les ôter de la tête. Voilà sur quoi j'occupais donc mes nuits.

Or, le glissement s'arrêtait à un point précis et impossible de deviner ce qui n'allait pas sans tout démonter. Je compris enfin pourquoi en percevant un bruit peu agréable à l'oreille : une impureté s'était prise dans mon petit mécanisme. Il me fallait récupérer le morceau qui se baladait et polir davantage le métal. Cela me demandait énormément de concentration et ces jeunes qui me tournaient autour comme des frelons ne m'aidaient pas.

Ils étaient tous convaincus qu'il fallait absolument que j'aille à cette fête, coûte que coûte. Je ne savais même pas ce qu'elle représentait ! Une sorte d'évènement typique du village, quelque chose d'important pour eux, je présumais.

Malheureusement, je savais très bien ce que me réservait ce genre de soirée. J'allais faire semblant de m'intéresser aux conversations ennuyeuses des autres, me tenir fixement dans un coin à regarder les autres danser, surveiller les faits et gestes de mes rejetons qui ne l'étaient pas... Je n'étais pas faite pour ça. Plus précisément, j'étais nulle pour ça.

Je passais mes nerfs sur ce fichu mécanisme d'anneau-interrupteur. C'était toujours mieux que de m'énerver sur des jeunes qui ne l'avaient pas vraiment mérité. Tout à coup, ma main glissa, l'outil dérapa et je me coupai, foutu tournevis ! Sous la douleur, je jurai sous les yeux outrés de mon auditoire de fortune.

— Mamá pourrait... commença Mirabel.

— Non, je vais très bien, l'arrêtai-je. Je ne suis pas à l'article de la mort. Je sais très bien prendre soin de moi toute seule. J'ai besoin de personne.

Entrelacs Verts ÉmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant