III. 1.

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Chapitre 1 : L'enclave si bien dissimulée qu'on l'avait oubliée

ARIETA

Dolores courut jusqu'au jardin où je me trouvais, alors que je ponçai les planches de la future grange destinée à la passion du petit Antonio. Elle cherchait quelqu'un des yeux, pantelante, et me trouva, l'inquiétude dans le regard. Je connaissais cette expression : je me préparais déjà intérieurement à prendre armes et bagages pour m'enfuir avec les jumeaux.

— Quelqu'un vient d'arriver dans le village, je l'ai entendu, m'indiqua-t-elle. Il te cherche.

J'avais déjà une poignée d'assistants et de spectateurs, comme nous étions en fin de journée. Le petit Antonio, en premier lieu, regardait tout ce que je faisais en détail. Félix, son père, le surveillait de près, redoutant qu'il ne se blesse. Enfin, c'était surtout Pepa qui s'angoissait tellement à cette possibilité qu'elle se sentait défaillir. À cela, on pouvait ajouter Esteban, qui n'avait de cesse de me seconder dans chacun de mes gros travaux, mais que j'avais chassé parce que je ne montais pas de charpente aujourd'hui. De même que Luisa, que j'avais écartée pour les mêmes raisons.

Celui que je n'avais pas pu éloigner malgré mes supplications, c'était Bruno.

— Arieta, bonjour, disait-il toujours.

Comme si prononcer mon nom lui donnait le courage de m'aborder. Je ne pouvais m'empêcher de trouver cela adorable.

— Bruno, susurrai-je en lui adressant un hochement de tête à chaque occasion.

Il avait souvent aidé Sofía depuis sa crise lors de la fête de l'automne. Les semaines s'étaient écoulées, les progrès de la jeune fille restaient minimes, mais ce que nul ne pouvait mesurer, qui n'échappait pas à mon regard, c'était qu'elle avait moins peur. Elle n'avait pas vaincu la terreur que pouvait lui inspirer ses visions : celles des morts ou des souvenirs des autres. Cependant, elle allait bien mieux qu'auparavant, elle entamait un apprentissage long et douloureux qui la motivait malgré tout. J'admirais son courage, ce courage dont on ne pouvait calculer son poids, tant il écrasait tout.

J'étais en train de divaguer, je me repris. Au loin, la matriarche de la famille entendit le raffut de sa petite fille et s'approcha de notre petit groupe pour mieux entendre ce qu'il se passait. Elle prenait soin de nous, de façon discrète, ne laissant jamais croire que je dépendais de cette famille. Elle avait compris que j'avais un petit problème qui s'appelait l'orgueil. J'en avais énormément. Je ne souhaitais en aucun cas susciter la pitié.

— Calme-toi, réclamai-je auprès de Dolores en cachant ma terreur au plus profond de moi-même. À quoi ressemblent ces personnes ? Elles connaissent mon nom ?

— Je n'ai entendu qu'une personne, un jeune homme, résuma-t-elle. Il cherche une personne qu'il appelle hermana Teresa.

Effectivement, c'était bien moi qu'il cherchait, mais même si cela faisait peur...

— Plusieurs personnes me poursuivent, expliquai-je, mais aucun jeune homme. Ce n'est pas celui qui me veut du mal. Enfin, je ne pense pas. Il n'a pas trouvé la fontaine de Jouvence, aux dernières nouvelles.

— On doit faire quelque chose ! paniqua le plus jeune de la famille qui me voyait déjà partir loin.

— On devrait l'interroger d'abord, proposa Félix. On pourra savoir ce qu'il veut et quelles sont ses intentions.

— Il ne connait pas Arieta, pressa Bruno en me regardant avec insistance. Avec un peu de chance, il ne la reconnaitra pas et il partira.

— Je ne sais pas, mais il approche d'ici et il a l'air très déterminé, raconta Dolores en criant presque.

Entrelacs Verts ÉmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant