I. 7.

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7. L'évocation des départs (sans retour) éternels

ESTEBAN

Mirabel parut apprécier de nous avoir à la maison pour la nuit, c'était incroyable de la voir avec ces yeux si pétillants. Émoustillée, elle ne tenait plus en place. Finalement, ce fut tout de même plus calme qu'on ne le pensait, ma sœur demeurait souvent silencieuse, mais je savais qu'elle s'amusait.

Dolores vint nous demander à deux reprises de parler moins fort, qu'elle en avait déjà assez avec Bruno et Arieta, en bas, qui n'arrêtaient pas de jacasser. Quand elle repartit, nous nous mîmes à ricaner.

— Alors comme ça, ils jacassent, moi je dirais plutôt qu'ils roucoulent, se moqua Sofía. Il y a mieux comme premier rendez-vous quand même.

— Oui, peut-être, mais ils s'entendent si bien ! s'extasia notre amie. Ce serait génial si ça pouvait...

— Ça n'arrivera pas, la coupa ma sœur.

— Sofía, murmurai-je.

— Désolée, 'Steban, mais tu connais Ari aussi bien que moi. Elle ne voudra jamais prendre le risque de s'attacher à qui que ce soit. Et même si c'était le cas, admettons qu'elle tombe amoureuse comme dans les romans à l'eau de rose et que l'oncle de Mirabel lui demandait sa main dans la seconde, tu sais très bien qu'elle refuserait coûte que coûte.

— Tío ne lui plaît pas ? tenta de comprendre Mirabel.

— Non, répondis-je, parce qu'on ne reste jamais longtemps au même endroit. Tôt ou tard, on finit par s'en aller...

— Tu sais, dit Sofía en s'allongeant sur son lit et en croisant les bras sous sa nuque, ce n'est pas par passion du voyage qu'on est tout le temps sur la route. C'est parce qu'on ne peut pas s'éterniser, il en va de notre sécurité, à tous. Nous trois, qui fuyons en permanence, comme pour celles et ceux qui s'occupent de nous, qui croisent notre route...

— Vous voulez dire... Que vous êtes poursuivis ? n'eût pas l'air de nous croire Mirabel.

— Je crois que je dois te raconter la fin notre histoire, déclarai-je.

Je l'invitai à prendre place sur mon lit et elle me rejoignit sans me faire prier. Je nous couvris et je recommençai où nous en étions arrivés.

— Arieta ne voulait pas d'enfant, pas de famille. C'était une solitaire, elle l'a toujours été. Nous n'étions absolument pas... prévus. Le problème, c'est qu'Ari déteste les injustices. Jusqu'à aujourd'hui, je ne savais pas pourquoi. Je pense maintenant que c'est parce qu'elle y a trop souvent assisté lorsqu'elle était, elle aussi, à l'orphelinat. Ou alors, nous lui rappelions cette période difficile de sa vie ? Je ne sais pas... Toujours est-il qu'elle ne supportait pas de voir comment les gens nous traitaient.

— Ils étaient si horribles que cela ?

— Tu as vu les crises que je fais ? Cela n'arrive pas très souvent, mais je sais que c'est très impressionnant. Ça fait peur à tout le monde. Les gens... Les gens ont dit que j'étais bon à enfermer dans un hôpital, les plus superstitieux croyaient que j'étais habité par un mauvais esprit, ou d'autres choses dans le même genre. Ari, elle, c'était la première à mettre un nom sur ce que j'avais et à affirmer que ce n'était pas une tare.

— D'accord, admit-elle en secouant les mains pour chasser les frissons, ils étaient épouvantables.

— Ils étaient aussi très méchants avec Sofía...

— Ne parlez pas de moi comme si je n'étais pas là, prévint ma sœur.

— Tu veux le dire toi-même, peut-être ? m'énervai-je.

Entrelacs Verts ÉmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant