10. L'espace d'un instant, je crus qu'il me parlait, à moi
SOFIA
Je n'en croyais pas mes yeux. L'homme, émacié, aussi gracile qu'un chat, dépassait Arieta de deux têtes. Savamment habillé, l'œil vif et aux manières faussement distinguées, j'avais du mal à croire que cet être était celui que ma tutrice avait considéré comme le mal à l'état pur. Qu'est-ce qu'elle disait d'autre ? Ah oui, que le Diable se cachait dans les détails.
Quand il prit la parole, je peinais toujours à me convaincre que c'était un homme immonde : il parlait bien, se tenait bien. Les gens comme cela ne pouvaient tout de même pas être de mauvaises personnes.
— Ainsi donc, voici la seconde génération, contempla-t-il ma mère.
Son anglais ne trahissait aucun accent. Il lui tourna autour tandis qu'Arieta demeurait droite, rigide, maîtresse d'elle-même.
— La seule et l'unique, se présenta-t-elle.
L'ombre de l'homme se mouvait d'une bien étrange façon, on aurait dit... Shadow. Alors c'était vraiment une forme d'héritage ? Des stigmates de ses ancêtres ?
— Tu es venue seule, en effet, observa-t-il, ou presque...
Il nous détailla, tous les trois dans le cercle, nous serrant les uns contre les autres. Je voulais fermer les yeux, mais je savais qu'en fuyant encore une fois, je n'aiderais jamais Ari, alors qu'elle en avait besoin.
— Ne les touchez pas, menaça Ari, vous n'imaginez pas à quel point vous pourriez le regretter.
— Oh, ferais-tu preuve de violence ? charria le maître des ombres en se tournant à nouveau vers elle.
— Vous ne pouvez pas savoir ce dont une mère est capable pour défendre sa famille, ne se laissa pas malmener l'inventrice.
— Mère ? Que sais-tu de la maternité, petite Arieta. Norma n'est-elle pas morte quand tu étais encore si jeune ?
— À trente-six ans, de la tuberculose, mais l'un n'empêche pas l'autre.
— N'est-ce pas ton âge aujourd'hui ?
— Presque. Mais cela ne sert à rien de tenter de m'effrayer en faisant mine de savoir des choses sur ma personne... Je n'ai pas peur.
Il s'approcha d'elle davantage, ses lèvres frôlant l'oreille de ma tutrice.
— Sans peur et sans reproche ? N'est-ce pas délicieux...
— J'ai des craintes, des zones d'ombres, des tourments, des angoisses. J'en suis criblée plus qu'à mon tour, confessa Ari, mais ces peurs sont logiques. Pourquoi devrais-je craindre un simple souvenir sans consistance comme vous ?
Là, l'homme ne rit plus du tout, il s'éloigna en pinçant les lèvres, cherchant sa contenance dans un coin du cercle. Il reprit alors, avec une voix bien moins mielleuse qu'au début.
— En attendant, ce simple souvenir peut négocier tout ce que tu désires. Alors, si j'étais toi, je me montrerais un peu plus de respect.
— Mais vous n'êtes pas moi, le nargua Ari.
— Pas encore, lança-t-il sur le même ton. Dis-moi, petite, qu'est-ce qui te ferait plaisir à ton cœur ?
Il prit une grande inspiration, comme s'il essayait de sentir la peur de sa petite-fille avant d'attaquer.
— Le manque de reconnaissance, devina-t-il. Un père qui t'a abandonné, des camarades qui ont toujours répudié ton intelligence et tes envies d'exploration. Tes pairs t'ont négligée, car une femme ne pouvait pas les commander. Finalement, on a eu de cesse de réprimer tes ambitions.
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Entrelacs Verts Émeraude
FanfictionDans un moulin abandonné depuis quelque temps déjà s'était installée une curieuse femme et deux ados. Les nouveaux venus étaient rares à Encanto, mais les femmes qui ne possédaient pas d'ombre étaient plus rares encore ! Et qu'elle montre un intérê...