III. 6.

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Chapitre 6 : La petite fille d'un pays pourtant voisin, mais qui n'est pas la porte à côté

ARIETA

Les Madrigal racontèrent quelques histoires de leur passé, afin de soulager la tristesse qui s'était installée après l'intervention de Sofía. Je découvris ainsi les multiples facettes de cette famille, que les plus âgés de la dernière génération se souvenaient déjà bien de leur oncle, malgré son absence de plusieurs années.

Peu à peu, même si l'excitation d'être dehors les émoustillait tous, je remarquai les yeux ensommeillés, les bâillements contenus... Ils luttaient un peu tous contre le sommeil.

Je connus, malgré moi, les petits secrets de tous. Cela me fit douter de la sincérité de Bruno, vis-à-vis de moi. S'il était si superstitieux, pourquoi perdait-il son temps en ma compagnie ? J'étais maudite, je portais un fléau en moi, il devrait m'éviter, non ? Il était vrai, j'étais peu loquace sur ce qui m'avait valu ce passé sombre, mais, d'un autre côté, resteraient-ils les mêmes s'ils apprenaient tout ? Bruno, Mirabel... Même Esteban et Sofía qui ignoraient beaucoup de choses sur ma famille.

— J'ai une histoire pour vous, intervins-je, mais après cela, il faudra aller vous coucher. Plus d'autre histoire, pas de question...

Les regards des jumeaux s'arrondirent, car j'avais toujours eu l'habitude de parler des contes que je connaissais, de mythologies issues d'autres horizons, de palabres alambiquées qui n'avaient plus une seule part de réel. Là, nous parlions de souvenirs, de vécu ! Je me préparais à livrer une part de moi. Eux, impatients d'en découvrir plus, ne purent qu'accepter. Pour leur faire plaisir, les autres se rallièrent à leur cause.

Je tremblotai, la nuit s'était bel et bien abattue, le froid aussi. Je sentis un morceau de tissu chaud couvrir tout à coup mes épaules et, avant de conter mon récit, je me délectai avec bonheur de l'étoffe que Bruno me prêtait.

— L'avantage du ruana, c'est qu'il peut se partager, me dit-il avec un sourire.

— Ce n'est pas quelque chose que l'on porte par chez moi, avouai-je, alors je n'ai pas eu le plaisir d'expérimenter.

Conformément à ses dires, nous nous entourâmes tous les deux du tissu. Son bras caressait inconsciemment le mien, m'incendiant sans raison apparente. Pourquoi fallait-il que je m'émeuve autant pour lui ? Je mourais d'envie de lui saisir la main, de glisser mes doigts dans les siens tant que nous étions à l'abri des regards, mais non. Impossible. Je me dégageais un instant pour saisir le bol de minéral, je le vidais sur les flammes avec élégance et admirai les colorations du feu. Ils étaient encore perdus dans leur contemplation quand je commençai.

— Comme je viens de le dire, révélai-je d'abord, je viens de loin. D'un pays pourtant voisin, mais qui n'est pas la porte à côté. Je vais vous raconter l'histoire d'une petite fille qui a eu la chance de choisir sa famille. Je ne vous dirai pas que la ressemblance entre cette petite fille et moi est fortuite. Aussi, cette petite fille se nommera Ari.

Je mettais un point d'honneur à faire la différence entre cette personne du passé et celle que j'étais devenue maintenant. D'abord, parce qu'une part de moi m'avait été ôtée, je n'étais plus complète. Quand je récupèrerai mon ombre, alors peut-être que mon attitude envers celle que j'étais enfant changerait.

— Cette petite fille est née d'un mariage compliqué, qui n'aurait pas dû avoir lieu. Un jeune homme riche du Pérou, lors d'un de ses nombreux voyages, s'était épris d'une jeune femme sans-le-sou de la Nouvelle-Orléans. Alors, au grand dam de la population, monsieur DeVidrio ramena avec lui cette femme étonnante et l'épousa. Ce qui était certain, c'était que cet amour était véritable, même si ces deux personnes s'étaient à peine fréquentées. C'était une surprise que le destin leur réservait, paraît-il.

Entrelacs Verts ÉmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant