II. 1.

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1 . Les piaillements chétifs sous la tyrannie de l'aîné

SOFÍA

Les jours passèrent, ils devinrent des semaines et notre tutrice s'investissait pleinement dans l'installation de notre petite maison. Elle l'avait garanti et tenait parole : aussi longtemps que nous le pouvions, nous demeurerions ici. Secrètement, j'espérais sincèrement que Marco avait renoncé à nous pourchasser. L'expectative de partir loin me désolait.

Nous nous engageâmes dans la vie de ce hameau paisible, heureux de pouvoir être acceptés totalement quelque part, sans jugement.

Puisque notre moulin était à nouveau en état de marche, en plus de nous fournir l'électricité, Ari s'essayait à extraire des huiles de toutes origines et multipliait les genres de farine. Elle faisait tellement de tentatives que nous avions maintenant un stock impressionnant.

Ça commençait à prendre de la place et je n'en pouvais plus. Elle n'arrêtait pas de dire qu'on ne restait jamais trop longtemps au même endroit, mais elle était en train d'engranger de quoi vivre ici pendant cent ans. C'était comme si sa promesse avait modifié sa façon d'agir.

D'accord, j'exagérais peut-être... Sauf qu'il fallait faire quelque chose !

Nous décidâmes d'emprunter une charrette et deux ânes, de nous rendre sur la place du village et de distribuer tout ce que nous avions en surnombre. Au moins, ce ne serait pas perdu pour tout le monde.

Nous partîmes tôt, entre filles, laissant Esteban se charger un peu du ménage. Il avait aussi pour mission de faire l'inventaire de ce qu'il restait, afin de trier ce que nous allions garder pour notre consommation personnelle et ce qui partirait pour une deuxième journée de charité.

Nos huiles firent fureur, tous nos flacons furent distribués en deux heures à peine. Quelques personnes nous offrirent des flacons vides en échange, dans le but d'en fournir de nouvelles plus tard. Je n'aimais pas trop cela, mais cela occupait beaucoup Arieta et je devais avouer que, ça, ça m'arrangeait.

Nous désirions vraiment que l'oncle de Mirabel termine de lui embrouiller l'esprit afin que l'on puisse se poser ici pour de bon. Dit comme ça, ça sonnait particulièrement égoïste, c'était vrai. En revanche, on le faisait aussi pour elle. Mon frère et moi étions convaincus qu'il y avait quelque chose. Je ne savais pas réellement s'il y avait de l'amour, je n'y connaissais rien à ce sujet ! J'étais moi-même un cœur d'artichaut, alors je voyais forcément l'amour partout, mais même les autres le voyaient ! Quand nous les trouvâmes ensemble, de grand matin, dans cette cuisine... C'était forcé : ils se plaisaient !

De mon côté, je cuisinais notre tutrice avec Esteban, pour tenter de savoir si elle n'avait pas un petit faible pour l'homme. Peine perdue, elle tournait sans cesse autour du pot en disant que non, il n'était pas étrange, simplement différent. Que non, il n'était pas naïf, uniquement gentil et poli avec elle. Plus on avançait des arguments, plus elle trouvait de fausses excuses pour les contrer. La discussion fut close quand elle annonça qu'elle n'était pas faite pour tomber amoureuse de quelqu'un, qu'elle adorait être seule.

Mensonges !

Du côté Madrigal, j'avais presque une génération entière qui s'était alliée à notre cause. Mirabel et sa sœur Isabela s'investissaient dans le rôle des entremetteuses. Dolores tentait d'espionner ce qui pouvait se raconter entre leur oncle et ma mère adoptive, même Camilo s'était lancé dans notre aventure. D'accord, lui, c'était surtout parce qu'il était convaincu que ce serait amusant.

J'étais tout à fait prise par mes pensées et mes réflexions quand une personne que je connaissais très bien me fit face. Je vis d'abord ses pieds, puis, en remontant mes yeux vers lui, je fus prise de panique.

Entrelacs Verts ÉmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant