J'entends la table se briser. Je ne veux plus être lâche. Je ne veux plus laisser faire. Alors pour une fois, malgré la peur qui me fait trembler de la tête aux pieds, je prends mon courage à deux mains. Je cours jusque dans la cuisine.
Maman est à terre, recroquevillée, les bras enroulés autour de sa tête pour se protéger des coups. Il se penche au-dessus d'elle, prêt à frapper à nouveau. Un éclat de verre brisé reflète la lumière crue de la cuisine.
– Arrête ! Ma voix déchire l'air lourd de violence. Il se retourne, ses yeux injectés de sang rencontrant les miens. Il vacille légèrement, l'alcool le rendant encore plus imprévisible. Mon cœur cogne violemment dans ma poitrine, mais je reste immobile, déterminé à ne pas fuir cette fois.
– Retourne dans ta chambre, Eli ! hurle-t-il, sa voix grondant comme un tonnerre. Je secoue la tête, le regard fixe, les poings serrés. Je ne partirai pas. Pas cette fois. Il avance vers moi, une main levée, prêt à m'écraser. Je sens la peur m'envahir, mais je refuse de la laisser gagner. Son haleine chargée de l'odeur âcre de l'alcool me dégoûte. Je reste planté là, mon corps tremblant, mais mon esprit résolu. Sa main s'abat sur moi avec la force d'un marteau, me projetant contre le mur. La douleur explose dans mon épaule, mais je me redresse, les larmes aux yeux, le regard toujours rempli de défi.
– Arrête de la frapper ! hurlai-je à nouveau d'une voix brisée. Cette fois, il me met un coup de poing et je tombe à terre sans pouvoir me relever. J'entends de loin le hurlement de maman et la vois se jeter entre le monstre et moi. Mais tout est lointain, ma vue se brouille. Et je le vois partir. Ma mère me prend contre elle, tremblante comme une feuille, ses sanglots étouffés contre ma poitrine. Je lui murmure des mots de réconfort, bien que je sache qu'ils sont insuffisants. Mais c'est tout ce que je peux faire pour le moment.
– Ça va aller, maman. On va s'en sortir, je te le promets. Cette promesse, je me la fais à moi-même aussi. Un jour, je nous sortirai de cet enfer. Bientôt, je serai assez fort pour la protéger, pour nous protéger."
La colère monte violemment et je serre les dents pour éviter d'injurier ce connard de Max qui vient de tout, sauf de se battre normalement. Il vaut mieux que je m'en aille avant que je ne le tue. Ignorant les remontrances de Réki et les "mec ça va" de tout le monde, je me casse. J'enfourche ma bécane et j'arrive au garage en moins de deux, en tentant de cacher mon humeur de chien.
- Qu'est-ce qui t'arrive ?
J'enlève mon tee-shirt pour commencer à me mettre au boulot et je réponds à Pat.
- Rien t'en fais pas, je sors de la boxe.
Mon patron stoppe ce qu'il est en train de faire et se tourne vers moi.
- T'as toujours pas pigé que je le vois quand ça ne va pas ?
Je fronce les sourcils et me résigne.
- Un gars qui m'a énervé, rien d'important.
Son regard rempli de peine me donne envie de m'enterrer.
- Tu sais que tu peux me parler...
Je ne réponds rien, car il n'y a rien à dire. C'est l'anniversaire de ma mère aujourd'hui. Si tout était normal, j'aurais sûrement acheté un bouquet, ou une connerie qui fait toujours plaisir. Je regarde Pat avec ses cheveux grisonnants et son uniforme bleu. Il est encore bien loti pour son âge, assez costaud et encore capable de séduire une belle femme.
- Ça va, le passé, c'est le passé.
Je me remets au travail comme si tout allait bien. Parce que c'est vrai. Tout va bien. Il m'arrive juste parfois d'avoir envie de cogner jusqu'à me péter les phalanges. Chacun sa croix. Je garde la tête froide, je dois bien ça à Pat.
Il a toujours été là pour moi. Je repense à toutes ces fois où il était présent dans la plus sombre période de ma vie. Il m'a aidé à faire les papiers pour l'appartement, il m'a engagé dans son garage. Huit ans plus tard, il m'aide encore. Je lui dois presque tout.
Il a cette capacité à lire ce que je m'efforce de cacher. Sa simple présence est souvent suffisante pour m'apaiser, mais aujourd'hui, la tension est trop forte.
Je m'attaque à une vieille moto, démontant le carburateur avec une précision chirurgicale. Chaque pièce que je retire, chaque vis que je dévisse, c'est une part de mes cauchemars qui dégagent.
Pat s'approche, un chiffon à la main, et me tend une bouteille d'eau.
– Bois un coup. Tu vas te dessécher à ce rythme.
Je prends la bouteille sans un mot et avale une longue gorgée. Le liquide froid me rafraîchit un peu, mais la chaleur de la colère reste là, sous la surface.
– Merci.
Il hoche la tête, puis retourne à son établi. Malgré son attitude bourrue, il sait quand il faut lâcher prise. Il m'a appris à vivre avec mes démons, à les apprivoiser sans les laisser prendre le contrôle. Mais certains jours, je donnerai cher pour ne plus rien ressentir.
17h30, le taf fini, je grimpe sur ma moto et je fonce jusqu'au lac. La boxe ne m'a pas suffi aujourd'hui, j'ai encore besoin de me défoncer. Je suis sous tension, comme chaque année à cette période. Le Pat a raison. J'observe l'endroit. C'est calme ici, immense et dégagé. Mais surtout, personne n'est là pour venir m'emmerder. Je grimpe en haut de mon rocher, je dépose mes affaires, me fous en boxer et sans réfléchir, je plonge dans le lac noir. Mais j'ai beau nager, il n'y a rien à faire, les flashs se répètent en boucle.
Je sers les poings et je sens une haine familière monter. J'aimerais que ça s'arrête. J'aimerais être ailleurs. Loin. Le lac est pourtant un des rares endroits où je me sens en paix, mais même ici, c'est de plus en plus dur de respirer. De garder la tête hors de l'eau. Je sors et tente de me calmer.
Je grimpe en hauteur sur la colline qui offre une vue incroyable sur le lac et m'assieds en tailleurs sur mon rocher. Je ferme les yeux et me concentre sur ma respiration. Mon corps et mon esprit se relâchent un peu... Mais c'est insuffisant pour faire taire les saloperies que j'ai dans la tête. J'ouvre les yeux et je finis par choper ce paquet qui est dans la poche arrière de mon jean depuis trois semaines. Je me saisis d'une clope et la regarde quelques instants. Ça fait trois semaines que je n'en ai pas tapé une seule. Je m'apprête à l'allumer quand j'entends un bruit.
Je tourne brusquement la tête. Après quelques secondes, je me lève et me penche en bas vers le lac... Je cherche du regard l'origine du bruit et je lâche ma clope de surprise. Ma respiration se coupe net et un vertige me prend. Soit, je suis en plein délire, soit ça fait trop longtemps que je n'ai pas baisé. Mes yeux se posent sur une femme, matte de peau, brune mais surtout, nu. Ma queue réagit douloureusement. J'oublie d'être discret et je n'ai le temps de voir qu'une chose avant de me planquer au sol et qu'elle se retourne dans ma direction : un énorme dragon tatoué le long de sa hanche.
Je reste allongé, le souffle court et le cœur qui cogne. C'est qui ? Qu'est-ce qu'elle fout ici, toute seule, nue comme au premier jour ?
Prenant garde à ne pas faire de bruit, je me redresse lentement. La curiosité l'emporte sur la prudence. Je jette un œil par-dessus le rocher, elle est toujours là, l'eau couvrant à peine ses hanches. Elle a l'air d'appartenir à ce lac tant elle se fond dans le décor. Sa peau mate brille sous les derniers rayons du soleil et le dragon orné sur sa hanche semble bouger avec elle.
J'ai beau savoir que j'ai un comportement de vieux porc, mais c'est plus fort que moi, je ne peux pas m'empêcher de m'approcher un peu plus. Sauf que mon pied heurte une pierre. Elle se retourne brutalement, ses yeux cherchant l'origine du son. Je me fige derrière un buisson.
– Qui est là ?
Putain. Sa voix. Suave, ferme, sans traces de peur, juste une pointe d'agacement. Je reste là, jusqu'à ce que le Soleil disparaisse et elle avec. Je sens que ce soir, je vais devoir me distraire, et je ne suis pas sûr que la sortie au bar avec les gars va me suffire.
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BOXING HEART (En réécriture)
RomanceLara et Eli. Deux écorchés vif au passé sombre qui n'avaient pas prévu de se tomber dessus. Boxeurs, loups solitaires, l'alchimie est instinctive, sauvage. Il a vécu un drame, elle aussi. Malgré la vie qui ne fait pas de cadeaux, vont ils réussir à...