Chapitre 17 Lara

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Je sens mon estomac se retourner et je me demande encore comment je fais pour me retenir de vomir. Et je ne parle pas de Max et son haleine de Jack Daniel mélangé au joint qu'il fume, mais de ce son terrifiant qui a sonné pas plus tard qu'il y a 3 minutes. Je ne comprends plus rien. Ou j'ai peur de comprendre... La colère commence à gronder.

Je n'ai plus envie de jouer. Mon cœur, si je n'en prends pas soin, personne ne le fera à ma place. Il est déjà assez abîmé par tout le reste, je n'ai pas envie de le défoncer un peu plus. Surtout si cette connasse entre en ligne de compte. Ma fierté mal placée vient de me faire embrasser un mec dont je ne ressens rien sous les yeux de celui qui ne quitte plus mes pensées depuis des semaines. Qu'est-ce que je fous bordel ? Eli a l'air absent. J'ose à peine croire qu'il a peut-être été agacé de me voir embrasser Max. Enfin. Embrasser est un bien grand mot, j'ai à peine effleuré ses lèvres quelques secondes. Mes yeux dérivent vers Laetitia qui dévisage Eli sans retenu. J'ai vraiment, vraiment besoin d'air. Il faut que je m'éloigne rapidement avant de dire ou de faire n'importe quoi. Je n'aurais jamais dû boire. Ça ne m'empêche évidemment pas de finir mon verre en vitesse avant de prétexter un mal de crâne pour m'éclipser. Je ne veux plus les voir ensemble. Je sais que je n'ai aucun droit sur sa vie, d'autant plus que je suis très mal placé pour parler à l'heure actuelle. Eli est libre, mais l'imaginer dans les bras de cette fille me donne la nausée. Je rassure Nelly et lui demande discrètement de ne pas me suivre et de faire comme si tout allait bien, ce qu'elle respecte.

Je m'enfonce dans la foret et en cinq minutes, je tombe enfin sur la rivière. Parfait pour me calmer les nerfs. Je me retiens de hurler. Tu m'étonnes que je préfère rester seule. J'ai l'impression qu'un feu consume mon corps et mon entre jambes dès qu'Éli pose les yeux sur moi. Je ne me sens plus maitresse de moi-même. Un sentiment de peur me prend et oppresse soudain ma poitrine. J'observe mon reflet brouillé dans l'eau agitée. Et des flashs me reviennent en mémoire. Je tente de les chasser. Je repense à ma mère et à sa rencontre avec mon père. Leur union a été évidente dès le début. "Dès que je l'ai vu, j'ai su que je ne voudrais passer ma vie avec personne d'autre". Mais même dans ce genre d'histoire, il y a toujours une merde pour empêcher les gens d'être heureux. Et pourtant, ils avaient tout pour l'être, mais la maladie les a rattrapés. Je me rappellerai toute ma vie cette matinée qui devait marquer le jour d'un nouveau départ pour moi. J'aurais pu vivre mes premières expériences d'ado. À la place, j'ai retrouvé du sang dans ma salle de bain.

Des traînées de sang partout sur les murs et ma mère dans la douche, inconsciente. J'avais 17 ans. Je n'ai pas crié. Parfois des détails précis me reviennent. Elle a été transportée d'urgence. Les traces sur ses bras étaient assez claires et ne laissaient pas de place aux doutes : ma mère avait tenté de mettre fin à sa vie. Les médecins ont réussi à la sauver à temps. Quelques jours plus tard, elle a été diagnostiquée bipolaire. Les médecins nous avait conseillé à mon père et moi de la faire interner au moins pour la durée du traitement. Mais mon père savait que ce genre de chose ne guérissait pas. Il a préféré la ramener à la maison. Elle est restée quatre ans avec nous. Mais il y a six mois, elle a rechuté, et il y a quelques semaines... Elle a pris des médicaments pour ne pas se réveiller. Elle est à l'hôpital. Mais cette fois, je ne laisserai pas le choix à mon père. Je ne veux pas qu'elle fasse cet acte, car je ne pourrais plus rien faire. La mort, ça ne pardonne pas. J'ai besoin de la savoir en vie. Un bruit me sort de mes lamentations et je me retourne brusquement.

- Qu'est-ce que tu fais ? Je pensais que tu étais dans ta tente de louve solitaire.

Voir Eli à la lueur de la lune me fait d'abord le fixer comme une idiote, puis je réalise que j'ai effectivement l'air très étrange au bord de la rivière à regarder mon semblant de reflet.

- Rien, j'avais besoin de respirer un peu.

- Je peux te laisser si tu préfères être tranquille.

- Non, c'est bon, reste. S'il te plait.

Il vient à côté de moi, mais reste debout. Je fixe la lune et sans le regarder, je demande :

- Qu'est-ce que tu t'es fait à la main ?

- Je te l'ai dit, je...

- La vraie raison.

Silence.

- Je me suis battu.

- Qu'est-ce qu'il avait fait ?

Je me tourne m'attendant à ce qu'il sorte une connerie. Mais son visage est comme anesthésié pour la deuxième fois de cette soirée. Et je sens que ce n'est pas dû à l'alcool. On dirait qu'il ne ressent plus rien. À part de la rage.

- Il battait ma mère.

Sous le choc, je me fige puis je me relève tellement maladroitement que je manque de tomber. Mais les bras d'Eli entourent mes hanches et me stabilisent. Je frémis. Pour ce qu'il vient de me dire, mais aussi, car son contact m'électrise. J'avale difficilement ma salive et pendant un instant, je n'ai qu'une envie, me jeter sur ses lèvres. Ne serait-ce que pour lui changer les idées et être sa distraction le temps d'un instant... Oui. Je ferais ça pour lui. Je serais prête à ça pour lui. Une simple distraction. Je fixe une seconde de trop ses lèvres et je déglutis. Nos regards s'accrochent et ce que j'y vois me coupe le souffle. Ses yeux sont emplis d'un mélange de mélancolie, de désespoir, mais aussi... Quelque chose qui ressemble à du self contrôle. Sa respiration devient lourde et je sens ses mains se resserre autour de moi. On se fixe ce qui me semble être une éternité. Paralysée l'espace d'un instant, je n'ose même bouger de peur de briser ce qui se passe. Puis je ferme les yeux pour reprendre mes esprits et fait un pas en arrière, me forçant à me détacher de lui. Je le regarde.

- Raconte-moi.

Hésitant, il fixe le sol quelques instants, puis la lune comme pour se donner du courage.

- Elle s'est barrée quand j'avais 17 ans.

Plus j'ai les détails, plus j'ai l'impression de me prendre un poing dans la poitrine qui m'empêche de respirer. Pourquoi il a dû vivre ça ? Pourquoi j'ai dû vivre ça ?

- Et pour Laetitia...

À ses mots, je me fige. Ce qu'il s'apprête à me dire va-t-il davantage me couper le souffle ?

-... On était ensemble l'année dernière.

Il me scrute, mais je reste impassible déterminée à ne rien laisser paraitre. Même si en cet instant, j'ai autant envie de vomir que d'en savoir plus.

- Elle m'a trompé.

Je cligne des yeux. Décidément, c'est de pire en pire. Comment peut-on tromper un homme comme Eli ? Comment peut-on tromper tout court ? Ça me rend folle. Il n'en dit pas plus. Le vide dans ses yeux en dit long. Et ça me fait mal. Trop d'émotions viennent me narguer : la tristesse de ce que Eli a dû vivre, la jalousie qui me dévore les tripes à l'idée que cette fille a eu la chance d'avoir ce que je n'aurais certainement jamais et la colère contre elle d'avoir osé cracher dessus comme ça.

- Mais je... enfin elle... elle n'est pas...

Il serre la mâchoire et le voir chercher ses mots pour me dire l'évidence, à savoir, qu'elle ne compte plus, me tord les entrailles. Il est si vrai, si sincère... Comment ai-je pu en douter ? Je ne sais pas combien de temps s'écoule, mais cette fois, je n'attends pas une seconde de plus et l'alcool me donne assez de cran pour me blottir dans ses bras. Il m'enlace instinctivement et je sens son soulagement dans son soupir. Son visage se perd dans mon épaule, puis doucement dans mon cou. Il prend une profonde respiration, comme s'il venait de se libérer d'un terrible poids et que mon parfum semblait être là seule chose sur terre à pouvoir le rassurer. Et je sens mon cœur se briser. Comment est-il devenu si beau et bon malgré toutes ces horreurs qu'il a subi ? Mon cœur saigne davantage quand je réalise que je ne suis pas la seule à avoir mal.

BOXING HEART (En réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant