𝐒𝐞𝐩𝐚𝐫𝐚𝐭𝐞 𝐰𝐚𝐲𝐬

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Le chemin jusqu'à son appartement lui paraissait interminable. Les boutiques et restaurants s'enchaînaient, sans qu'elle ne discerne son bâtiment apparaître dans son champ de vision. Cette impression, était sans doute liée à l'état d'affolement que Chloé n'arrivait plus à contrôler.

Partagée entre la tristesse et la colère, elle ne savait pas quelle émotion prédominait. Elle se contentait simplement d'ignorer les appels et messages incessants de ses amis, traversant les rues le plus vite possible. Ses mains étaient jointes, ses habiles glissant les unes contre les autres dans le maigre espoir d'enfin apaiser ses tremblements. Sa respiration était dispersée. Elle était certaine que la fraîcheur de la nuit n'était pas la cause de cet état. Elle faisait simplement face à la montée d'une nouvelle crise d'angoisse.

Chloé ne se rappelait plus quand s'était produite la dernière. D'un côté, elle était fière de constater qu'elle avait réussi à apprendre à contrôler et à espacer ces crises d'anxiété inopinées. D'un autre, elle était apitoyée de voir que ce soir, elle avait échoué.

Son esprit n'était plus qu'un manège dont les nacelles tournait à la vitesse grand V. Son estomac, répondant à cette allure, se nouait et était sur le point d'évacuer le mal ressenti. Simplement, elle voulait éviter de dégobiller en pleine rue. Elle pressa alors le pas.

Chloé soupira de soulagement en voyant les fenêtres du deuxième étage de son immeuble, s'engouffrant dans le hall d'entrée avant de grimper les escaliers quatre à quatre.

Elle déverrouilla la porte de son appartement avant de la refermer aussitôt et de se débarrasser de ses vêtements superflus. Le séjour était plongé dans le noir. Seul le canapé et la table basse étaient éclairés par la lumière vive de la pleine lune. Ses différentes plantes formaient des ombres contre les murs nacrés de la pièce à vivre, révélant le véritable jardin intérieur qu'elle affectionnait tout particulièrement entretenir.

Elle actionna l'interrupteur, dirigeant son regard vers sa batterie au fond de la pièce, près du comptoir qui séparait la cuisine du salon. Chloé sourit, rassurée. Cet instrument était son médicament. Dès lors qu'elle le voyait, elle se sentait immédiatement apaisée. Aucune drogue, aucun alcool du monde pourrait avoir un effet aussi immédiat sur son organisme. Il lui suffisait de croiser le chemin de son attirail pour enfin, se sentir à sa place.

L'art la délivrait. La musique la transformait.

L'étudiante consulta rapidement l'heure sur son téléphone portable. Minuit approchait à grands pas. Elle décréta que ce n'était pas vraiment le moment de réveiller ses talents de musicienne et décida de simplement se faire un thé. De toute manière, elle n'avait pas sommeil. À défaut de pouvoir s'amuser à emmerder tous ses voisins, elle pourrait travailler sur sa partition.

Chloé fit un arrêt rapide dans sa chambre, enfilant son pyjama avant d'aller chercher sa tasse fumante et de s'installer sur son canapé. Elle aimait son lieu de vie. Elle s'y sentait bien, éloignée du monde et de toutes ses diverses déceptions et distractions. Ici, seule, elle n'était jamais triste. Elle ne se sentait ni observée ni même jugée. Les murs de son appartement étaient devenus des remparts, empêchant l'ennemi d'approcher son périmètre de sécurité et de s'y engouffrer sans crier gare.

Mais les minutes passaient et la jeune femme n'arrivait pas à se concentrer. La seule chose, le seul visage qui occupait son esprit, était celui d'Eddie. Il n'avait pas vraiment changé, mis à part qu'il ressemblait à une véritable épave. Cette odeur forte d'alcool emplissait toujours ses narines de sa senteur âcre, parsemée d'effluves de cannabis qu'il avait dû consommer avant de monter sur scène.

Ses yeux vitreux et son teint blafard ne voulaient pas abandonner ses pensées. Elle n'irait pas jusqu'à dire qu'elle ne l'avait pas reconnu, car ce n'était pas le cas, mais il n'était définitivement plus l'Eddie s'il y a quelques années. Il n'était plus que l'ombre de lui-même. Ses nouveaux amis y étaient pour beaucoup, ce n'était pas un secret. Au lycée, eux aussi avaient été catégorisés. Chloé était la grosse de service, et eux étaient les "Freaks". Les tarés déambulant dans les couloirs et terrorisant tous les autres élèves.

Avant la mort de ses parents, son meilleur ami les avait méprisés, pour la simple et bonne raison qu'ils étaient réellement détestables. Sans doute la cause du nombre de substances illicites qu'ils consommaient tous les jours. Assurément, ce genre de choses changeait les gens, et c'était loin d'être de la meilleure des manières. Eddie était devenu comme eux, avait été catégorisé de la même manière. Les gens de son lycée l'avait rangé dans une case, sans chercher à savoir ce qu'il se cachait derrière cette masse de cheveux et ces vêtements à l'effigie de ses groupes de métal et de rock favoris.

La rousse reposa sa boisson qui avait déjà eu le temps de refroidir, attrapant son téléphone avant de sélectionner l'application messagerie. Steve saurait lui changer les idées.


Tu dors ?

Oui, c'est ma passion d'écrire en dormant. Tu ne savais pas ?


La jeune femme pouffa de rire, levant les yeux au ciel. Elle était ami avec le jeune homme depuis le collège. Amitié qui s'était poursuivie jusqu'au lycée, et même au-delà. Il avait été là pour elle lorsqu'Eddie lui avait tourné le dos. Chloé avait perdu un pilier, pour en trouver un autre quelques semaines après. Alors, si elle ne voulait pas discuter de cette histoire avec Hailey et James qu'elle ne connaissait que depuis deux ans, elle pourrait au moins se confier à Steve.


Je peux passer à la boutique demain ? Robin sera là ?

Oui et oui miss. Mais t'as pas cours ?

Je passe sous un tunnel. See ya !


Ses études étaient un sujet compliqué à aborder, presque tabou. Ses amis savaient à quel point Chloé détestait en parler. Cependant, la jeune femme savait également que son absentéisme finirait par lui poser de réels problèmes. Bien qu'elle était majeure, ses parents finiraient par être au courant. Le prix de son université et les relations cordiales qu'entretenaient son père et le directeur, étaient les principales raisons qui poussaient à ce constat. Pour sûr, son géniteur serait hors de lui.

Chloé avait eu le malheur de naître dans une famille de grands avocats. Depuis toute petite, ils l'avaient persuadé que faire des études de droit, serait la seule solution pour avoir un avenir radieux et fonder une famille. S'ils s'étaient un tant soit peu intéressés aux volontés de leur fille, ils se seraient rapidement rendus compte que la jeune femme ne voulait ni devenir juriste, ni avoir d'enfants.

Mais sans un sou en poche et étant totalement dépendante de ses parents, elle n'avait d'autres choix que de se plier à leurs prérogatives étouffantes. Elle avait bien essayé de les convaincre de la laisser poursuivre son rêve et d'intégrer une école de musique, mais elle s'était confrontée à un refus catégorique. Eux aussi, avaient changé à la mort des parents d'Eddie.

En réalité, toute sa famille avait changé. Ces deux décès avaient impacté son entourage proche d'une manière considérable. Chloé avait perdu son meilleur ami ce jour-là et son père et sa mère avaient perdu les leurs. Une dose de deuil et de déni avait alors pris possession d'eux, ne leur laissant aucune seconde de répit. Le guitariste avait trouvé du réconfort dans la drogue et l'alcool. Chloé s'était réfugiée dans la solitude. Ses parents dans leur travail.

Bien que le drame se soit déroulé, il y a de ça des années, il faisait toujours partie intégrante de leur quotidien. Tous s'étaient mis à être effrayé de la mort. Puis à la détester. C'est pour cette raison que la jeune femme ne dormait que très peu la nuit. Elle était symbole de liberté, mais aussi d'atrocités. Personne ne savait réellement ce qu'il se tramait lorsqu'une population entière était endormie. Personne ne savait vraiment ce qui se révélait vraiment une fois le soleil couché.

Les mythes et les légendes faisaient état de créatures cauchemardesques, aussi bien humaines que surnaturelles. Chloé s'était mise à haïr la lune et son aura. Sa lumière et les nombreux sentiments qui allaient avec. Elle préférait se persuader être un enfant du soleil, se cachant sous le ciel nocturne, attendant que son astre préféré fasse enfin son retour pour la rassurer.

Autrefois, Eddie avait été son soleil. Mais en seulement quelques années, il s'était transformé et était devenu cette brume menaçante et effrayante, annonçant la pluie et le vent à venir. Secrètement, elle espérait se réconcilier avec le soir et ses ombres. Avec ses espoirs et ses limbes.

𝐋𝐞 𝐝𝐞𝐫𝐧𝐢𝐞𝐫 𝐚𝐜𝐜𝐨𝐫𝐝 | Eddie Munson x OcOù les histoires vivent. Découvrez maintenant