𝐋𝐞 𝐝𝐞𝐫𝐧𝐢𝐞𝐫 𝐚𝐜𝐜𝐨𝐫𝐝 | Eddie Munson x Oc

𝐁𝐮𝐭 𝐈'𝐦 𝐚 𝐜𝐫𝐞𝐞𝐩

Eddie n'avait jamais eu un monde pareil face à lui. À l'œil nu, il lui était impossible de comptabiliser le nombre de personnes présentes devant, autour de la scène. Son excitation en comptait une centaine, voire plus, mais il ne voulait pas partir dans des élucubrations un peu absurdes. Cependant, il n'était pas si loin du compte.

Plus de deux cents personnes avaient fait le déplacement des quatre coins de Londres pour assister au concert de lui et son groupe. Une énorme chaîne de bouche à oreille s'était créée depuis la dernière performance de Corroded Coffin, ayant attiré les vrais fans de rock et de métal comme les plus curieux. Ils étaient de tout âge, de toute origine et de tout genre, rassemblés dans le même seul et unique but : découvrir que l'art n'était pas seulement écrit ou pictural. Il allait bien au-delà de tout ça et Munson était bien décidé à le leur faire découvrir.

Seulement, et pour la première fois de sa vie, il sentait une légère angoisse prendre possession de lui. Il en était le premier décontenancé. Au plus près de ce rassemblement de jeunes comme de plus vieux, le noiraud n'arrivait pas à gérer le flux énorme d'émotions traversant son corps et son psychisme. Comment jouer devant autant de monde sans décevoir personne ? La réponse était évidente. En restant soi-même. C'était de cette manière qu'Eddie réussissait à conquérir les oreilles et les cœurs des plus réticents, à amadouer les âmes les plus difficiles. Il lui suffisait de leur montrer ce qu'il savait faire le mieux : parler le langage de sa mélodie.

Un jour, il deviendrait la vedette de son propre univers, ravirait chaque tympan croisant sa route, leur faisant découvrir ses propres créations. Il ne se contenterait plus de leur interpréter ses morceaux favoris, il leur ferait vivre ceux sortant tout droit de son imagination. C'était une certitude, il deviendrait une véritable bête de scène sortant tout droit d'un Colisée romain. Un gladiateur ayant vaincu tous ses ennemis, clamant haut et fort sa victoire.

Pour l'heure, il était Edward Munson, guitariste de génie, inconnu et incompris. Sauf lorsque sa musique trouvait écho dans les oreilles de ceux comprenant ses messages. C'étaient eux, les véritables passionnés.

Lorsque le musicien grimpa sur scène, il refusa de contempler la foule, ne voulant pas y voir Chloé. Bien que sa présence le rendrait foutrement heureux, il en avait aussi complètement peur. L'idée qu'elle puisse pleinement l'observer, chose qu'elle n'avait pas faite depuis des années, lui donnait un trac pas possible. Alors il se contenta de fermer les yeux, attendant la première vibration de la batterie de Joly.

Creep de Radiohead.

Marcus, l'autre guitariste, voyant qu'Eddie n'avait pas signé les premières notes, prit le relais. Même avec les paupières scellées, le noiraud sentit le poids de son regard sur ses épaules, ne comprenant pas pourquoi il n'avait pas commencé le morceau comme il avait l'habitude de le faire. Ce soir, les quelques vibrations innocentes des différents couplets ne l'intéressaient pas. Il voulait vivre le refrain. Incarner le refrain. Faire comprendre à toute l'assemblée qu'il était ce Creep, ce Weirdo que tous refusaient de connaître, qu'elle seule, avait accepté de vraiment découvrir.

I wish I was special.

You so fucking special.

Le médiator s'abattit rapidement sur les cordes de son instrument fétiche, ses habiles compressant le haut de ce premier à l'aide de sa main gauche. Les lèvres pincées, étourdi par la sensation de la musique prenant possession de lui, Eddie se transforma. Le minuscule bout de plastique agressait les fils de vie de sa guitare, empoignant, avec passion, les notes qui s'échappaient de la caisse de résonance. Il n'était plus ce vendeur en magasin excentrique, il était la vedette de son propre destin.

Le jeune homme se défoula avec avidité, oubliant totalement ceux gravitant autour de lui. Il était seul sur scène, sans aucun public pour l'acclamer ou le siffler. Il était seul face à la rousse, lui interprétant ce morceau qui semblait avoir été créé pour lui. Cette chanson qu'il aurait aimé lui chanter sans jamais s'arrêter, jusqu'à s'en écorcher les doigts, jusqu'à en perdre la voix.

You're so fucking special.

I wish I was special.

Instinctivement, au moment du deuxième refrain, les lèvres de Munson s'ouvrirent, laissant s'échapper les lignes mélodiques jusqu'alors chantée par l'interprète vocal. Jouer Creep n'était pas assez. Il devait absolument être Creep, montrer au Cosmos qu'il était fier d'être ce Creep, pourtant tellement désolé de l'être et de ne pas être à la hauteur de celle qui faisait à présent battre son cœur.

Cette mélodie lui avait ouvert les yeux, au sens propre comme au figuré. Jamais plus, il ne pourrait considérer la batteuse comme sa meilleure amie. Ses sentiments étaient bien plus forts, son adoration allait bien au-delà d'un simple amour amical. Il donnerait tout pour sentir sa présence derrière lui, ferait tout pour l'entendre elle, et pas une autre, faire abattre ses baguettes en bois contre une cymbale. Joly ne serait jamais à sa hauteur, bien qu'il ait essayé de s'en persuader durant des années.

Les cheveux du noiraud remuèrent au rythme de la brise que lui-même créait, ses habiles vibrèrent contre les fibres en métal, son pied-droit n'ayant de cesse de marteler le sol. Une troisième personnalité, ou plutôt personnification, inonda son être, éblouissant l'assemblée de par son aura.

Apollon venait de faire son entrée. Il avait troqué sa lyre ancienne pour un procédé bien plus récent et moderne. Il avait délibérément choisi de délaisser L'Olympe pour rejoindre la terre, observant avec adoration son disciple, son successeur. C'était avec joie qu'il avait reconnue avoir trouvé plus fort que lui.

En cet instant, Munson était le seul et unique mortel pouvant prétendre à un titre pourtant immortel. Une nouvelle divinité venait de faire son entrée dans le Panthéon, chamboulant ceux y résidant depuis des siècles. C'est cette sensation qu'avait ressentie Chloé Connors à peine, avait-elle reconnu la patte musicale du guitariste.

Elle s'était approchée timidement de la scène, ne pouvant réfréner l'émotion qui l'avait submergé dès l'instant où lui, s'était révélé. À voix basse, seulement, elle était prête à reconnaître à quel point cette prestation la transcendait, à quel point elle était fière de lui. Sa dextre cachant sa bouche, les yeux écarquillés, elle ne put empêcher les quelques larmes s'étant amassées au coin de ses yeux de couler.

She's running at the door.

Il l'avait crié, si fort, si intensément, que la rousse avait pris cette articulation comme une bourrasque inévitable. Elle ne fuyait pas, elle n'en avait jamais eu l'intention. Simplement un besoin soudain de réfléchir et d'arrêter de douter. Une nécessité ardente d'abandonner ses peurs pour ce qu'elle désirait véritablement. Retrouver le musicien. Son musicien.

Alors c'est sans aucune once d'hésitation qu'elle acclama le noiraud, frappant dans ses mains avec intensité une fois le morceau terminé. Chloé ne prit pas la peine d'essuyer ses larmes, d'effacer la marque sans doute stupide de ses sanglots. Ils étaient sincères. Ils étaient ce que la musique avait toujours été pour eux : un effluve d'émotions impossible de cacher.

Les yeux d'Eddie se rouvrirent, applaudissant, suivant le rythme instauré par la foule. La douleur disparut, laissant place à la joie et à la satisfaction. Parce qu'elle était là. Parce qu'évidemment, elle était là depuis le début. Ses orbes bruns rentrèrent en collision avec la puissance de ses jades, lui faisant un signe de tête et une légère révérence pour la remercier. Il rit en la voyant lever les yeux au ciel, plus que déterminé à produire la prestation de son existence.

Il n'y avait aucune animosité dans son regard, simplement de l'admiration. Comme lorsqu'il avait assisté à sa démonstration de talent il y a quelques jours, Munson réalisa enfin l'attention qu'il lui avait portée. Leurs œillades étaient les mêmes. Elles se complétaient, se rejoignant pour ne former plus qu'une seule alliance indissociables. Le marron brutal et le vert apaisant.

C'était une certitude à présent, ce concert avec The Corroded Coffin était le dernier.