Chapitre 1: Aéroport Paris Charles de Gaulle

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Le ciel était lumineux, les nuages se tassaient à l'horizon, le froid mordant s'insinua insidieusement à travers les couches de mes vêtements. Une journée de plus, ordinaire et monotone, cochée dans le calendrier. Dans le tourbillon incessant des feuilles mortes, portées par le vent capricieux, l'une d'elles se posa subrepticement sur mon pied, comme si elle y cherchait refuge. Je la délogeai, observant sa course sinueuse vers un avenir incertain.

Là, plantée comme un piquet devant le passage clouté, trimbalant ma valise à mes côtés, mon écharpe remontée jusqu'au menton, je ressemblais à un explorateur perdu dans l'Antarctique. Tout en emmitouflant mes mains dans mon foulard, je jetai un coup d'œil aux jeunes rebelles traversant la rue malgré le feu rouge. Une envie soudaine de les imiter me chatouilla les neurones, mais les yeux perçants d'un vieux dont la peau flétrissait me retinrent comme si j'étais un chiot rebelle. J'aurais juré entendre sa voix tonitruante lâcher un "Ah, les jeunes de nos jours !" oubliant qu'il faisait de même dans sa jeunesse lointaine.

Je restai donc là, sage comme une image, contemplant le défilé incessant des voitures devant moi. Les klaxons impétueux finirent par marteler mes tympans, s'alliant avec la vapeur enivrante qui s'échappait des tuyaux d'échappement. Leur unique mérite ? Dissimuler l'odeur nauséabonde qui s'échappait des bouches d'égouts.

C'était une de ces journées, ordinaire et répétitive, où chaque minute semblait s'étirer paresseusement comme un chat après un bon repas. Pourtant, ce jour-là devait marquer le début d'un chapitre inattendu, un tournant décisif dans le récit de ma vie. Mon départ de chez moi, ce matin-là, n'était que le premier acte d'une série d'événements qui allaient transformer le cours même de mon existence. Mon objectif paraissait simple : me rendre à l'aéroport, avec pour ambition de découvrir de nouvelles opportunités professionnelles à l'étranger.

Jade, cette amie chère croisée il y a une décennie, avait ouvert la porte vers ce qui deviendrait plus tard mon métier et ma passion. Huit années se sont depuis écoulées, rythmées par la présence constante de cette pépite inestimable que la vie avait déposée sur mon chemin. Avec son élan spontané, son énergie débordante et un enthousiasme contagieux, Jade avait toujours été mon pilier, me poussant sans relâche vers les sommets, prête à me rappeler à l'ordre quand la situation l'exigeait. Contrairement à son habileté surnaturelle à peser le pour et le contre avant de se lancer, j'avais tendance à foncer tête baissée, sans trop réfléchir. Autant dire que nos tempéraments étaient aux antipodes l'un de l'autre ! J'avais dû apprendre, au fil du temps, à dompter mes impulsions et à me fondre dans l'ombre lorsque la nécessité s'imposait, afin de maintenir l'équilibre fragile de notre duo explosif.

Avant même de croiser son chemin, ma vie ressemblait à une sombre mélodie sans harmonie, ballotée par les aléas du destin. Je vivais sans vivre, prise en étaux par les malheurs que le destin m'apportait de jour en jour, un fardeau que je portais depuis que j'avais été abandonnée devant les portes d'un commissariat, insignifiante et sans foyer. Trop jeune pour comprendre alors, j'avais tôt fait de clore le chapitre de mes origines, sans ressentir le besoin pressant de découvrir l'identité de ces fantômes du passé. Ainsi, les années s'écoulèrent en famille d'accueil, une parenté éphémère, jusqu'à mes dix-huit ans, moment où je pris la décision impulsive de m'envoler vers une cohabitation avec Jade.

—Hé là ! Vous ne voyez pas que vous gênez le passage ? s'exclama un rustre derrière moi.

Sans aucune considération, l'homme trapu me bouscula, forçant un vélo à s'engager sur une trajectoire imprévue avant de finir sa course sur le trottoir. Un soupir m'échappa, mêlant exaspération et lassitude. Le feu allait passer au vert dans quelques secondes, alors pourquoi cette précipitation frénétique ? Je jetai un coup d'œil furtif au centenaire de tout à l'heure, espérant qu'il me donne l'autorisation silencieuse de traverser, à présent. Le grand-père leva ses épaules d'un air théâtral, roulant des yeux vers le ciel comme s'il venait de prendre la pause pour une publicité de désapprobation. Un sourire malicieux s'échappa de mes lèvres pendant que je reprenais ma marche, presque convaincue qu'il se réjouissait secrètement de mon embarras devant ce feu. Eh bien, au moins, même les vieux savaient comment jouer les spectateurs comiques dans le théâtre chaotique de la vie quotidienne.

Fly with me [En réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant