QUINZE

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Chapitre quinze

Vista las Palmas, Palm Springs, CA, États-Unis / Résidence des Howard - Lundi 24 octobre 2022, 22h00

BORIS

Au moment où je ferme la baie vitrée, je vois son corps s'enfoncer totalement dans l'eau. Je me détourne, essayant d'oublier ce qui vient de se passer. Ce que j'ai pu laisser arriver.

Je marche rapidement dans le couloir pour essayer de m'éloigner le plus d'elle, sûrement aussi pour essayer de mettre une distance avec cette autre réalité qu'est ma vie.

-Mon fils, dit mon père à l'autre bout du fil.

Je ne peux m'empêcher de grincer des dents à l'entente de ces mots russes, bien que je parle couramment la langue depuis mon enfance. Je ferme les yeux fortement en entrant dans ma chambre. Je n'ai toujours pas fait le lit ; le côté droit est toujours défait, preuve du passage de Lake dans celui-ci la nuit dernière.

-Fils, j'entends de nouveau de l'autre côté du fil.

-Quoi putain ?

J'essaie de parler le plus bas possible malgré mon énervement, ma frustration et ma rage. Tout ce mélange en moi depuis la nuit dernière. Je n'ai pas réussi à fermer l'œil après avoir été réveillé par les deux abrutis. En plus de ça, je dois rester sur mes gardes. Car si Lake entre dans la maison et m'entend parler russe, elle va poser des questions. Naïve ou non, ça me foutrait dans la merde.

-Vous êtes complètement cons ma parole, je dis entre mes dents.

-Tu devrais te rappeler quelle est ta place, mon garçon, grogne mon père.

Mon père. Cet homme plein de haine que je ne reconnais plus depuis la nuit du vingt décembre deux mille dix. Moi non plus, je ne pourrais jamais oublier cette nuit. Moi aussi, je suis consumé par mon envie de vengeance, mais avec ma famille... Je ne réagis pas comme un sombre connard irresponsable.

-Tu sais ce qui aurait pu se passer ? Papa, j'aurais pu les tuer ! Et Dieu sait quel bien ça aurait fait à cette putain de planète d'avoir ces deux psychopathes en moins !

-Baisse d'un ton, petit ingrat ! hurle-t-il.

Je me tais, essayant de reprendre le contrôle de ma respiration.

-Tu sais, il dit en prenant un ton mielleux. Depuis Shelby, Antoine, Victor et Sasha...

Il laisse planer la suite de sa phrase, prenant bien soin de prononcer son prénom en dernier, afin que ça fasse son petit effet. Il sait ce qu'il fait, ce qu'il veut provoquer.

-J'ai jusqu'à février prochain, je crache. C'était le plan.

-Ce plan est foutrement long, il grogne. Les Howard méritent tout ce merdier qui les attend, et au plus vite.

J'ai envie de l'insulter. Comme si j'en n'avais pas conscience, comme si je n'avais pas vécu la même chose que lui.

-On s'est mis d'accord. Tous ! Je ne t'ai pourtant pas entendu remettre en question cette date ?

-Boris, il prévient.

-Vlad, je dis en retour.

Mon père m'a terrorisé un bon bout de temps. Maintenant, il suscite plus ma pitié qu'autre chose. Avant la mort de mon frère, il n'était pas ce qu'on appellerait un père violent. Il était presque tout ce qu'on aurait pu appeler d'un père normal malgré sa tendance à aimer la masculinité poussée chez ses enfants. Il n'avait jamais fait d'écart. Il a commencé à être en constant désaccord avec nous, toujours dans la provocation pour nous faire réagir et assouvir son envie de domination tant sur nous que sur ses alliés, essayant par tous les moyens de nous faire culpabiliser de la mort de mon propre frère... Mais il n'y a pas eu que mon frère cette nuit-là, et j'ai dû ériger un mur pour que ses cris, ses coups et ses injures ne m'atteignent plus.

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