Chapitre 7

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Xaviej se leva tôt ce matin-là. Une importante commande attendait d'être achevée et il avait travaillé tard sur les schémas avant d'aller se coucher. Les parchemins trônaient encore en désordre sur son établi, attendant qu'il s'y replonge. Sa femme avait grogné dans son sommeil lorsqu'il avait pénétré dans la chambre mais heureusement, des années d'entraînement lui avaient inculqué la discrétion nécessaire pour ne plus la réveiller. Les gravures détaillées que son client lui avait remises symbolisaient les armoiries de sa famille. Xaviej avait choisi de les damasquiner à l'argent sur le pommeau en acier. La silhouette du cheval galopant, l'herbe fleurissant sous ses sabots, devait être empreinte d'un réalisme saisissant, pour reprendre les mots de son commanditaire. Sa maîtrise du travail de l'argent surpassait de loin celle de l'or, le choix s'était donc imposé naturellement. Il avait terminé le fourreau la semaine dernière et l'épée deux jours auparavant. Puis il avait consacré la journée précédente à acquérir la quantité d'argent nécessaire et à examiner en détails l'esquisse du cheval. Si tout se passait aujourd'hui comme il l'espérait, il ne lui resterait qu'à relier les bandes de cuir sur la poignée et l'arme serait achevée. Une belle lame digne d'un maître escrimeur.

Il descendit dans sa boutique au rez-de-chaussée et attisa les braises qui rougeoyaient encore dans l'âtre. Avant de gagner l'arrière-cour où se trouvait sa forge, il sortit dans la rue pour humer l'air frais et regarder disparaître les dernières étoiles devant l'avancée du soleil. La rue, en pente, était verglacée. Aucun passant n'arpentait encore le quartier commerçant et il ne se faisait pas d'illusion : le froid en avait découragé la plupart les semaines précédentes, il n'y avait aucune raison que cela changeât aujourd'hui. Sur la droite, face à lui dans la pente, la boutique de la chandelière était plongée dans le noir. Elle était encore éclairée lorsqu'il s'était couché la veille. Cette fille travaillait beaucoup et méritait un respect certain pour cela. C'était une artisane douée et ses bougies avaient rapidement conquis une vaste clientèle après son installation. Lui-même en possédait plusieurs chandeliers dans sa boutique. Elle devait certainement se reposer d'une nuit affairée sur son établi. Il irait la saluer plus tard, lorsque le métal aurait besoin de refroidir. C'était agréable d'avoir affaire à une personne jeune et joviale. Tout le contraire du précédent propriétaire, ce vieux rat acariâtre qui passait ses jours à épier ses voisins et leur chercher querelle au moindre prétexte. "J'aurais pu acheter votre boutique cent fois si je l'avais voulu" lui avait un jour répété ce croûton entre plusieurs flopées d'invectives, après que Xaviej lui eut demandé d'arrêter ce vacarme infernal en plein milieu de la nuit. Son décès trois jours plus tard avait été vécue comme une bonne augure par les riverains qui l'avaient retrouvé un matin mort de froid devant le perron de sa boutique. On avait conclu qu'une malheureuse glissade l'avait assommé et que la vigueur de l'hiver avait fait le reste. Mais on n'avait jamais su que Xaviej avait assisté à sa chute depuis la fenêtre de sa chambre et silencieusement refermé son volet.

Son regard dévia sur la boutique de l'apothicaire, elle aussi plongée dans la pénombre. Il en fut surpris. Si Johannes veillait parfois tard, il était toujours levé avant l'aube et prêt à ouvrir après les premières lueurs du jour. A croire que cet homme n'avait pas besoin de dormir. Même un hiver aussi rude ne semblait pouvoir le faire dévier de ses habitudes. Xaviej se méfiait un peu de lui. Bien que courtois et toujours accueillant, il fricotait avec la magie et le forgeron n'aimait pas ça. Rien de bon ne peut découler du surnaturel. Et qui plus est, de la magie des morts. Mais l'apothicaire jouissait lui aussi d'une réputation respectable dans le traitement des maux et afflictions, chose rare dans un métier regorgeant de charlatans et autres vendeurs de miracles. Et les remèdes qu'il lui avait achetés ces dernières années s'étaient tous révélés efficaces.

Après un dernier regard vers le ciel palissant, il franchit la porte de son magasin et se dirigea vers l'arrière-cour. Une heure plus tard, un mince filet de fumée s'élevait de sa forge et l'argent commençait à galoper sous ses doigts agiles.

L'Appel du NécromantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant