Chapitre 25

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Johannes se présenta à l'aube au manoir d'Isabella. Il tambourina du point sur le portail, sans se soucier d'utiliser le marteau. Le judas s'entrouvrit sur un visage qu'il avait vu le soir de la réception. S'il parut étonné de voir Johannes, il n'en laissa rien paraître.

— Que veux-tu, demanda-t-il d'un ton neutre, mais sans l'embarras d'une quelconque politesse.

— Helmi, c'est bien ça ? Je veux parler à ta maîtresse. C'est urgent. Fais-moi entrer ou va la quérir, mais décide-toi rapidement.

Ses yeux lui lancèrent un regard empreint d'une telle fermeté que le garde esquissa un geste de recul. Le visage d'Helmi disparut et le judas se referma dans un claquement sec. Puis Johannes entendit le factionnaire déverrouiller le portail, qui s'ouvrit quelques secondes plus tard. Helmi lui fit signe d'entrer et referma le vantail après lui, avant de l'inviter à le suivre, sans un mot.

Ils remontèrent l'allée désormais familière et pénétrèrent dans le manoir par l'entrée principale. Johannes avait peu d'espoir de croiser le domestique qui avait détruit sa boutique, mais toutefois, sa main se porta machinalement à sa ceinture. Sous sa cape fermée par un simple lacet, pendait la dague dans le fourreau qu'il avait acheté à Xaviej la veille. C'était une simple pièce de cuir, très classique, sans aucun motif ni ornement. Curieusement, l'ondulation de la lame avait cessé lorsqu'il l'avait approchée de la gaine et il l'avait glissée à l'intérieur comme une dague ordinaire. Désormais, il lui tardait presque de s'en servir.

Ils pénétrèrent dans le manoir par la porte principale et furent accueillis par la chaleur douce émanant du brasero disposé au centre de la pièce. Helmi le conduisit alors dans le petit salon où Isabella et Johannes s'étaient entretenus le soir de la réception. Le garde frappa doucement avant de tirer la porte et d'entrer. Vêtue d'une robe épaisse et raffinée, elle buvait une tasse de thé fumante, confortablement installé sur un fauteuil. Un chandelier à cinq branches éclairait chichement la pièce, les torches murales encore éteintes. Elle leva les yeux vers eux et parut surprise en reconnaissant Johannes. Elle répondit d'un signe de tête au salut d'Helmi et attendit quelques instants qu'il s'éloignât. Son visage s'éclaira d'un sourire dont Johannes s'aperçut qu'il lui avait manqué.

— Johannes ! Je suis soulagée de te voir en vie et en bonne santé. En ville, on ne parle que de l'explosion chez toi. Je te pensais mort. Mais tu ne sembles pas blessé. Pourquoi n'es-tu pas revenu plus tôt ? Mon oncle s'est débarrassé du corps, tu ne pourras plus l'étudier.

— J'ai eu la chance de m'en sortir indemne, mais j'ai dû me faire discret quelques jours.

— Discret ? Tu as simplement joué avec des substances dangereuses. Il n'y a pas eu de blessé, à ce que je sache. Ou personne d'important, en tout cas. Pourquoi se cacher ?

— J'ai joué avec des substances dangereuses ? C'est ce qui se dit en ville ?

Johannes esquissa un sourire de dépit :

— Je suis apothicaire, pas alchimiste. Je vends des remèdes et des herbes. Mais peu m'importent les discussions de salon. Je me suis caché car l'explosion me visait. Quelqu'un veut me tuer et c'est pour cela que je suis venu ici.

Il garda pour lui les détails de la façon dont il avait échappé la mort. Des détails qu'elle ne pourrait de toute façon pas comprendre. Devant son air interrogateur, il poursuivit :

— Je cherche un de tes serviteurs. L'homme au visage rougeaud qui nous a servi le vin le matin.

— Ian ? Pourquoi ? C'est un homme sans histoire. Il était déjà au service de mes parents lorsque j'étais enfant.

— Parce qu'un voisin l'a vu rôder la nuit avant l'explosion près de ma boutique.

— Un voisin l'a vu rôder ? Comment a-t-il pu le reconnaître ? Ian ne va que très rarement sur la colline des commerçants et tes voisins n'ont jamais mis les pieds ici.

Son ton avait changé et elle prononça cette dernière phrase avec un dédain mal dissimulé qui irrita Johannes. Mais il se souvint qu'il était en présence d'une Marchande et qu'il devait mesurer ses paroles.

— Pourquoi ne me dis-tu pas vraiment pourquoi tu le soupçonnes ?

Il s'était montré stupide en sous-estimant Isabella. Maintenant que la situation devenait inextricable, il se rendait compte que son histoire ne résistait pas à un examen quelque peu poussé. Il ne pouvait pas avouer à Isabella l'origine de son accusation car elle était assez intelligente pour que ses réflexions et ses questions aboutissent à la Divination. Mais il ne pouvait plus persister dans son mensonge.

Son esprit cherchait désespérément une solution quand on frappa à la porte. Un instant plus tard, elle pivota sur ses gonds et une servante portant un plateau, sur lequel étaient disposés de petits gâteaux appétissants, entra. Elle était suivie d'un homme dont Johannes reconnut immédiatement le visage rougeaud. Le serviteur, qui tenait une carafe de vin et deux verres, se figea instantanément lorsque ses yeux se posèrent sur Johannes. Une seconde s'écoula pendant laquelle aucun des deux hommes n'esquissa le moindre geste. Puis Johannes bondit de son fauteuil tandis que Ian poussait violemment la servante dans sa direction, laissant choir verres et carafe qui se brisèrent au sol. Isabella cria sous la surprise. L'apothicaire esquiva d'un pas de côté la servante qui s'écroula sur son fauteuil et il dégaina sa dague. Il lut la terreur dans les yeux de son adversaire lorsque sa lame commença à onduler vivement, tandis que lui-même ressentait une joie malsaine à la promesse de goûter très prochainement au sang humain. Il dressa ses barrières mentales sans même s'en apercevoir et enjamba vivement la table basse, manquant de renverser le chandelier tandis que Ian se ressaisissait. L'horreur disparut subitement de son visage pour laisser place à un calme indifférent qui déconcerta Johannes. Sans toutefois ralentir son assaut, il leva sa dague pour frapper, lorsque la porte se referma violemment, percutant Johannes en plein front. S'écrasant sur la porte qui émit un craquement sourd, il lâcha son arme et s'écroula sur la table basse, une douleur aiguë fulgurant au-dessus de son œil gauche. Il porta la main à son visage et sentit un liquide épais et chaud s'écouler de la plaie.

Légèrement sonné, il se relevait laborieusement quand la porte se rouvrit. Immobile, Ian se trouvait toujours un mètre derrière le seuil et Johannes réalisa alors qu'il ne l'avait pas vu bouger lorsque la porte s'était refermée sur lui. Cette homme maniait l'Aéromancie ! Un simple serviteur ! Et il comprit à la vitesse et à la violence du choc contre la porte qu'il avait affaire à puissante partie.

En se relevant, sa main se posa sur le chandelier qui gisait au sol, ses bougies éteintes ou éparpillées contre le mur. Il s'en saisit fermement et acheva de se rétablir sur ses pieds. Sa dague se trouvait sur le seuil de la porte, là où il l'avait laissée tomber. Il s'en rapprocha à pas mesurés en fixant Ian pour essayer de deviner ses intentions. Étrangement, bien que démasqué, il ne tentait pas de s'enfuir. Il semblait résolu à se battre. Johannes espérait pouvoir le capturer et le faire parler quand il fut alerté par un mouvement au sol. Il baissa les yeux et constata avec horreur que sa dague s'élevait doucement dans les airs. Elle fusa soudainement vers Isabella. Il n'eut que le temps de tendre le bras pour interposer le chandelier que la lame martela brutalement l'argent et s'y enfonça. Il recula sous la violence du choc, son bras engourdi et sa main crispée de toutes ses forces sur le candélabre, dans lequel la dague resta fichée. Son regard tomba sur le visage d'Isabella, déformé par la terreur, les yeux écarquillés et le teint livide.

Des bruits de pas précipités le détournèrent de son amante suffisamment tôt pour voir Ian le charger furieusement, mais pas assez pour l'esquiver. Saisi au col, il se sentit soulevé du sol aussi facilement qu'un enfant et violemment plaqué au mur. Sa tête heurta le lambris et Ian le lâcha. Il manqua s'écrouler par terre, ses jambes le soutenant à peine, mais le chandelier chut de sa main. Sonné, il leva faiblement le bras quand son assaillant le martela méthodiquement de coups. Il vit le poing de Ian se lever et la douleur explosa dans sa mâchoire lorsqu'il s'abattit sauvagement. Sa tête frappa de nouveau le mur et seule l'extrême violence de son agresseur le maintint conscient quelques secondes de plus. Le poing continuait de se lever et de s'abattre sur son visage lorsqu'il sombra dans les ténèbres.


L'Appel du NécromantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant