L'Appel du Nécromant

Chapitre 14

Elle chercha son parent du regard et le trouva près de l'autre extrémité, en grande conversation avec un homme inconnu. La trentaine, les cheveux noirs soigneusement noués en une queue de cheval, il était fin, de taille moyenne. Son pourpoint noir, élégamment brodé, s'offrait une originalité qui dérogeait à la mode : une tige argentée, ornée de feuilles, serpentait depuis le ventre jusqu'à la poitrine où elle s'évasait en une fleur qu'Isabella ne reconnaissait pas. Presque bel homme, il était dommage qu'il se montrât un peu gauche, légèrement mal à l'aise dans sa tenue, trahissant ainsi une origine sociale inférieure. De plus, il ne semblait pas avoir remarqué sa présence. Pourquoi son oncle avait-il invité un tel homme ce soir ? Isabella comptait bien le découvrir. Elle traversa la salle à manger d'un pas léger, répondant aux sourires et aux saluts qui parsemèrent son chemin. Elle nota que la température était plus fraîche que dans le hall mais elle restait néanmoins agréable. Arrivée à quelques mètres de son oncle, lorsqu'il parut évident à l'homme en noir qu'Isabella venait à leur rencontre, ce dernier leva les yeux vers elle et s'interrompit. Des yeux marrons encadrés par un visage avenant lui lancèrent un regard intense mais indéchiffrable. Avant qu'elle ne puisse tenter de l'interpréter, son oncle se retourna et son visage s'éclaira du sourire franc et chaleureux qu'il lui réservait toujours.

— Isabella, je constate que tu apprécies toujours te faire désirer. Mais le plaisir de te voir n'en est que plus grand.

— Bonsoir, mon oncle. Je suis ravie de vous revoir, notre dernière rencontre date de plusieurs semaines. J'espère ne pas interrompre une conversation d'importance, répondit-elle en braquant son regard dans celui de l'homme en noir.

— Aucunement. Je m'entretenais d'une affaire résolue avec mon invité. Je te présente Johannes. Il est apothicaire. Il m'a rendu un grand service dernièrement, je l'ai donc convié aux festivités de ce soir. Johannes, je vous présente Isabella de Lokkette, ma nièce.

L'homme s'inclina, exécutant un salut courtois et impeccable. Isabella constata avec plaisir que s'il n'était pas à l'aise dans son habit, il savait néanmoins traiter avec les puissants de la ville.

— Ma Dame.

— Enchantée de vous rencontrer, Johannes. Il n'est pas courant de croiser un apothicaire chez mon oncle. Vous nous réservez beaucoup de surprises, ce soir. Quelle est donc cette affaire que vous évoquiez ? demanda-t-elle d'un ton anodin, en saisissant un verre que lui présentait un serviteur.

— Johannes n'est pas ici en sa qualité d'apothicaire. Notre affaire requérait d'autres... compétences. Vois-tu, notre invité a également étudié à l'Académie d'Arcanaas, reprit-il en baissant le ton.

— Vous pratiquez les Arts Occultes ? s'étonna Isabella. Je n'ai jamais eu l'occasion de rencontrer quelqu'un de l'Académie. Vous êtes si peu nombreux à Blacharque. La plupart d'entre vous travaille au palais et n'en sort presque jamais. Quelle discipline maîtrisez-vous ?

— La Nécromancie, ma Dame. C'est la discipline dans laquelle je suis le plus doué, ajouta-t-il devant le regard presque réprobateur d'Isabella. Vous savez, nous ne choisissons pas le domaine que nous étudions, c'est l'Académie qui nous l'attribue.

— Et pourquoi ne travaillez-vous pas pour le Prince-Marchand ? Il se vante de louer les services d'un Pyromancien, d'un Aéromancien et d'un Hydromancien. Mais je n'ai pas entendu parler d'un Nécromancien.

— Parce que je suis originaire d'un petit village et que mon père travaillait la vigne. Les Princes-Marchands ne s'entourent pas de roturiers comme moi. Avoir étudié à l'Académie ne change rien à mon statut.

Isabella ne sentit pas d'animosité dans ces propos. Visiblement, cet homme acceptait sa condition inférieure.

— La Nécromancie inspire la méfiance chez nombre de gens qui voient d'un mauvais œil que je dérange les morts. Mais s'ils savaient à quel point les morts aiment se mêler des affaires des vivants...