Il reprit peu à peu conscience tandis qu'une voix l'appelait, d'abord lointaine puis progressivement audible. Il sentait qu'on le secouait vigoureusement et il ouvrit les yeux sur le visage buriné d'un homme barbu, au regard sévère, coiffé d'un casque en fer. La lanière de cuir sous son menton, trop lâche, n'empêchait pas le casque de tanguer comme l'homme lui parlait. Johannes trouvait ce spectacle amusant lorsque son esprit perça les dernières brumes dans lesquelles il flottait.
Il poussa alors un gémissement de douleur. Son visage entier n'était que souffrance et le goût du sang lui emplissait la bouche. Le regard que lui portait le garde, où se mêlaient pitié et compassion, en disait long sur son état. Il tenta de parler mais sa mâchoire l'élança vivement.
Il se redressa sur un coude et regarda autour de lui. Le petit salon était sens dessus dessous. La table gisait renversée et le chandelier traînait au sol. Sa dague y était toujours enfoncée entre deux branches. La servante qui avait apporté le plateau sanglotait sur un fauteuil, le visage enfoui dans ses mains. Il n'y avait aucune trace de Ian et d'Isabella. Le garde, que Johannes ne connaissait pas, l'aida à se relever. Remarquant le miroir accroché au mur, il s'en approcha lentement, presque apeuré par ce qu'il savait y découvrir. Le reflet qu'il lui renvoya fut pire que ce qu'il craignait. Son visage était en ruines : ses lèvres éclatées en deux endroits laissaient échapper un mince filet de sang tandis que la paupière de son œil gauche avait doublé de volume pour devenir bleue. Le reste de son visage était tuméfié là où le poing de Ian avait frappé, ouvrant plusieurs plaies sanguinolentes. Seule consolation, son nez n'était pas cassé. Il recula d'un pas sous le choc et buta contre le fauteuil dans lequel il était confortablement assis peu de temps auparavant.
— Où est Isabella, s'enquit-il auprès du garde ?
— Ian s'est enfui avec elle. Une servante l'a vu descendre au sous-sol en la portant sur son épaule.
— Et personne n'a essayé de l'arrêter ?
— Les gardes étaient tous dehors et aucun serviteur n'a osé s'interposer. Il n'y a pas de sortie au sous-sol. S'il veut l'emmener ailleurs, Ian sera obligé de passer par la grande porte.
— Alors allez chercher tous les gardes du manoir qui ne sont pas de faction ! Rejoignez-moi au sous-sol.
Johannes se surprit lui-même à adopter un ton aussi autoritaire. Le garde le regarda un instant, hésitant avant d'obéir à un homme quasi-inconnu, mais reconnut finalement la justesse de l'ordre et sortit en courant du salon.
L'apothicaire se pencha et ramassa un tissu blanc renversé lors du combat. Il s'en essuya délicatement le visage, grimaçant lorsqu'il en touchait les parties les plus contusionnées. Une fois terminé ce nettoyage sommaire, il se saisit du chandelier et de la dague, mais elle était trop profondément enfoncée pour qu'il pût la retirer. Il se concentra et dirigea ses pensées vers l'argent du chandelier, là où l'arme était fichée. Une minute plus tard, le métal chauffé se ramollit suffisamment pour qu'il en dégageât sa dague. Il laissa tomber le chandelier par terre, jeta un dernier regard à la servante sanglotant dans le fauteuil, et, déterminé à se faire justice, s'engagea dans le couloir en direction de l'escalier descendant au sous-sol.
VOUS LISEZ
L'Appel du Nécromant
FantasyDans la cité médiévale de Blacharque, Johannes mène une vie paisible en vendant ses services d'exorciste aux Seigneurs Marchands de la ville. Rompu aux Arts Occultes, il cherche à asseoir sa réputation auprès de ces puissants notables. Convié à une...