Chapitre 27

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La lanière de cuir siffla en prenant de la vitesse et les rats levèrent la tête, les oreilles à l'affût du moindre bruit signifiant un danger. Mazim visa soigneusement puis libéra la lanière qu'il tenait entre le pouce et l'index. Le caillou quitta la poche de sa fronde mais percuta le mur à quelques centimètres de sa cible, produisant un claquement sec sur les pierres, avant de rebondir et de tomber dans l'eau noire du caniveau. Les rongeurs s'enfuirent en piaillant, abandonnant le tas d'immondices qu'ils fouillaient tandis que Mazim jurait intérieurement. La lanterne suspendue au plafond éclairait la scène d'une faible lueur blafarde, incapable de percer les ténèbres au-delà de de deux mètres. Les rats disparurent rapidement dans l'obscurité et le calme revint.

Sortant de l'ombre du tunnel secondaire dans laquelle il s'était dissimulé, il grimpa sur le trottoir longeant le caniveau de la galerie principale. L'eau poisseuse ruissela de son pantalon. Il s'accroupit près du tas d'immondices où les rats furetaient et y récupéra le morceau de viande avariée qu'il y avait déposé pour attirer la vermine, avant de le glisser dans sa besace. Il décrocha alors la lanterne puis s'enfonça dans le tunnel à la suite des rats.

Il errait dans les égouts depuis maintenant deux semaines. Deux semaines dans la puanteur et la quasi-obscurité. Si ses yeux s'étaient adaptés, son nez se révoltait toujours et la nausée menaçait souvent son estomac. Son seul contact avec l'extérieur consistait au ravitaillement par les hommes du guet chaque semaine. Ils lui fournissaient des gourdes et des vivres dans une besace dont l'étanchéité était au mieux douteuse. S'il ne voulait pas gâter sa nourriture, il lui fallait se montrer très précautionneux dans ses déplacements. Il avait appris à ses dépens que les caniveaux recelaient de nombreux trous dissimulés sous l'eau ou la boue. Il progressait donc lentement, généralement dans les galeries principales bordées de trottoirs étroits.

Mazim se demandait toujours ce qui lui manquait le plus, la lumière du jour et un horizon au-delà des deux mètres qui constituait désormais son quotidien, ou les odeurs de la surface. Il n'éprouvait aucun vide à l'absence de compagnie, ayant passé seul la majeure partie de sa vie, à ne compter que sur lui-même. Les senteurs du marché lui revinrent en mémoire avec force. Il revit les étals des marchands proposer du pain, de la viande, des fruits et des légumes superbes, même s'il savait que son esprit lui jouait des tours en magnifiant leur qualité. Il se souvenait de leur goût et du jus qui lui dégoulinait sur le menton lorsqu'il mordait dedans. Mais aujourd'hui, après deux semaines dans ces conduits, même un fruit à moitié pourri lui mettait l'eau à la bouche. Il chassa rapidement ces images de son esprit, conscient qu'il lui restait presque six mois à arpenter les égouts de Blacharque.

Le guet l'avait arrêté trois semaines auparavant pour vol. Il avait bien tenté de s'enfuir et de semer les gardes dans les ruelles de Blacharque qu'il connaissait comme sa poche. Il avait même lâché son butin dans sa fuite en espérant que ses poursuivants abandonneraient. Mais en vain. Il avait dû s'attaquer à une personne éminente pour qu'ils le traquent de la sorte. On lui avait laissé le choix : se faire trancher la main droite, ou chasser les rats dans les égouts pendant six mois. Il savait à quoi il s'exposait ici : maladie, blessure qui gangrène, morsure de rat. Mais s'il survivait, il aurait toujours ses deux mains en quittant la ville. C'était un pari risqué. Désormais, chaque semaine, il devait remettre le fruit de sa chasse aux gardes qui lui donnaient des vivres en fonction de son succès.

Il n'avait pas fermé l'œil la première nuit dans les égouts. Si sa lanterne était bien fournie en huile, il avait cherché en vain un endroit sec pour s'y allonger. Les galeries principales, hautes de deux mètres environ, étaient truffées d'ouvertures donnant sur des conduites plus étroites qui semblaient serpenter au hasard. Le seul bruit qu'il entendait alors était celui de ses jambes repoussant les eaux noires pour avancer, son nez sans cesse agressé par les odeurs fétides omniprésentes. Il avait erré dans les tunnels, en prenant soin de marquer son passage. Sa plus grande crainte était de se perdre et ne plus être capable de retrouver son chemin vers l'entrée où le ravitaillement l'attendrait sept jours plus tard. Sa progression était lente et il n'avait pas parcouru une longue distance, repassant souvent sur ses pas. Le guet ne lui avait évidemment pas fourni de carte. Pour ce qu'il en savait, les égouts n'avaient d'ailleurs jamais été cartographiés, mais il en avait fait plusieurs fois le tour au bout de quatre jours. Maintenant, il s'orientait approximativement, son esprit avait mémorisé des points de repères et son sens de l'orientation s'était affiné. Il n'était plus obligé de laisser des marques sur les murs. Il avait réussi à déblayer un endroit sec surélevé, trop étroit pour s'y allonger mais il pouvait s'appuyer contre le mur pour dormir. Il y laissait désormais ses vivres et ainsi délesté, évoluait plus rapidement. Il avait rapidement réalisé que pour chasser les rats, il n'était pas nécessaire de s'aventurer dans les conduites secondaires. La vermine était assez répandue dans les tunnels principaux. Il lui arrivait parfois de les poursuivre dans des couloirs plus petits lorsque, frustré d'avoir raté sa cible, il laissait libre cours à sa colère. Mais il ne les rattrapait jamais.

L'Appel du NécromantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant