Chapitre 18

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Elle s'approcha d'un grand portail sombre, haut d'environ trois mètres et assez large pour laisser passer une grande carriole. Deux piliers sculptés en pierre le flanquaient. La simplicité des vantaux, totalement lisses et sans gravure, surprit Johannes qui s'attendait à trouver la débauche d'ornements si commune dans cette partie de la ville. Seuls le judas et le marteau offraient quelque relief à l'œil du visiteur. Isabella s'en saisit et en heurta la porte vigoureusement. Quelques secondes plus tard, des bottes crissèrent dans la neige puis s'immobilisèrent de l'autre côté du portail. Le judas coulissa en silence et un œil y apparut. La surprise le fit s'écarquiller et Johannes crut percevoir un juron étouffé. Puis le bruit d'un grand loquet résonna dans la nuit et le portail pivota enfin. Le serviteur préposé à l'entrée, protégé par un lourd manteau et des chausses de laine, s'inclina profondément.

— Nous ne vous attendions pas aussi tôt, ma Dame. Sinon, vous auriez trouvé le portail grand ouvert.

— Je le sais, ne t'en fais pas.

Elle se tourna alors vers un deuxième homme posté dans une guérite quelques mètres plus loin. La façon de ce garde d'enserrer sa hallebarde montrait qu'il savait s'en servir.

— Helmi, cours prévenir Farulf que je suis de retour. Dis-lui de faire préparer un bain chaud et de disposer une bouteille de vin dans le petit salon.

Le dénommé Helmi posa son arme et s'élança au pas de course vers le manoir. La bâtisse en forme de U entourait une grande cour pavée portant encore les vestiges de la couche de neige tombée dans la journée. Imposante sans être sinistre, la demeure d'Isabella était composée d'un classique corps principal flanqué de deux ailes construites plus récemment. Extensions d'un style moins élancé, elles n'en dégageaient pas moins une sensation de légèreté aérienne. On aurait pu croire le manoir prêt à s'effondrer au premier coup de vent violent et pourtant, de fines tours montaient à la conquête du ciel. Prouesse architecturale ou intervention d'un Géomancien très puissant, la toiture ressemblait à une ride à la surface de l'eau que l'on aurait immobilisée à jamais. Les tuiles suivaient gracieusement sa courbe et lui donnaient l'aspect d'un gigantesque reptile. La pénombre en rehaussait l'aspect monumental.

Johannes et Isabella traversèrent la cour en silence et se dirigèrent vers l'entrée principale. La porte en chêne massif pivota vers l'intérieur sans un bruit avant qu'ils ne l'atteignissent et leur livra le passage vers une pièce de taille moyenne. Seul le lourd chandelier qu'un serviteur portait jetait quelque lumière dans la salle. Isabella retira son manteau et, d'un geste de la tête, invita Johannes à en faire de même. Elle le conduisit alors à travers une enfilade de pièces vers un petit salon plongé dans une demi-obscurité. Isabella choisit un fauteuil simple mais confortable et Johannes prit place de l'autre côté de la table, sur laquelle étaient disposés deux verres de vin et une bouteille. L'absence d'autre meuble accentuait le sentiment d'intimité qui émanait de ce salon. Visiblement, la maîtresse des lieux l'avait conçu pour les tête-à-têtes privés. Derrière son fauteuil, la seule fenêtre était voilée par une paire de rideaux épais.

Lorsqu'Isabella prit la parole, une inquiétude presque palpable imprégnait sa voix :

— Je n'aurais jamais imaginé qu'on ose s'en prendre à moi aussi directement. Et chez mon oncle, de surcroît. Celui qui a organisé ça ne peut être un simple malandrin. Engager un assassin prêt à attaquer aussi ouvertement requiert des moyens importants. Mon oncle pense qu'il trouvera des réponses en questionnant la troupe, mais j'en doute. A moins que l'un d'eux ait repéré une chose inhabituelle, il n'apprendra rien.

— Je pense aussi qu'il n'y a pas de complice parmi les acteurs. Je n'en vois pas l'intérêt. Moins il y a de gens dans la confidence, moins il y a de risques d'être découvert. Ou trahi.

L'Appel du NécromantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant