Chapitre 40

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Il s'éveilla en grognant de douleur. De nombreuses plaies récoltées chez Isabella s'étaient rouvertes durant l'interrogatoire et sa peau rougie l'élançait sur tout son corps. Il ouvrit les yeux mais ne vit que l'obscurité. Paniqué à l'idée d'être devenu aveugle, il se retourna sur le dos et buta contre les pieds du siège d'Albrecht. Il ignora l'élancement dans son dos et tenta de se calmer. Puis il se souvint que la seule lumière de la pièce provenait du feu canalisé par le Magister. Ce dernier gisait mort à ses côtés et les flammes avaient disparu. Combien de temps avaient-elles continué à brûler après la mort de leur créateur ? Johannes l'ignorait. Sachant qu'il ne pourrait jamais trouver la réponse, il écarta cette question de son esprit.

Aucun garde n'était entré depuis son évanouissement. Sinon, il serait probablement mort. Mais ils attendaient derrière l'unique porte de la petite salle et finirait certainement par prendre des nouvelles de leur maître. Ce n'était qu'une question de temps. Johannes rassembla le peu d'énergie qu'il lui restait et créa une flammèche semblable à une bougie à l'extrémité de son doigt. Aussitôt, la faible lueur projeta des ombres dansantes sur les murs, révélant un spectacle qui lui donna la nausée. Il gisait dans une mare de sang s'écoulant des vestiges du crâne d'Albrecht. Ses chausses et sa chemise en étaient totalement imprégnés et il sentait le liquide poisseux lui coller à la peau. Aussi se releva-t-il rapidement. Il redressa le fauteuil du Magister pour s'y laisser choir. Un bougeoir trônait sur le linteau de la cheminée. Il l'alluma à l'aide de sa flammèche, qu'il laissa alors disparaître.

Le rembourrage confortable jura avec la paille qui constituait son quotidien depuis plusieurs jours. Il s'enfonça dans le fauteuil avec plaisir et réfléchit à sa situation.

Il avait encore tué. D'abord Ian, puis Isabella, et maintenant le Magister. Une petite voix en lui prétendait qu'il n'avait fait que se défendre. Contre Ian et le Magister, oui. L'esclave d'Arwald avait clairement essayé de le tuer et ne lui avait pas laissé le choix. Le Magister le torturait et ne méritait guère mieux. Mais ce nouveau cadavre lui rappelait le meurtre d'Isabella et le sentiment de dégoût de lui-même, qu'il avait réussi à écarter, revint le tourmenter. Il y a une semaine encore, la vie paisible qu'il menait contribuait à garder les gens en vie. Qu'ils soient clients de sa boutique ou qu'ils louent ses services occultes. Désormais, la mort l'accompagnait, quoi qu'il fasse.

Mais il n'avait pas seulement tué un homme de plus, il avait tué un Magister. Il ne savait pas si cet acte constituait une prouesse ou une infamie. Sans doute les deux. Jusqu'à présent, la simple idée qu'il fût possible de vaincre un magister ne lui était jamais venue à l'esprit. Ces mages étaient réputés comme les plus puissants qui soient et ils n'avaient pas besoin d'utiliser leur Art pour imposer respect et soumission. Leur réputation suffisait. Et lui venait d'en abattre un en lui fracassant le crâne contre le mur. Le meurtre d'Isabella devenait secondaire désormais. Si l'autorité du Prince-Marchand de Blacharque s'arrêtait aux murailles de sa ville et Johannes pouvait espérer lui échapper, les Magisters ne connaissaient aucune limite et mettraient en œuvre toutes leurs ressources quasi-illimitées pour retrouver le meurtrier d'un des leurs. Le désespoir s'empara de lui. Il était bloqué dans une pièce avec le cadavre d'un des hommes les plus puissants au monde et ses hommes l'attendaient derrière l'unique porte de sortie. Assassiner les grands de ce monde en présence de leur garde personnelle devenait malgré lui une habitude. Cette pensée lui arracha un sourire triste et moqueur. Drôle de moment pour faire de l'humour, Johannes. Il prit sa tête entre ses mains et s'abandonna au désespoir.


L'Appel du NécromantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant