Chapitre 34

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Il revint rapidement à lui, tremblant de tout son corps. Jamais il n'avait ressenti la morsure du froid aussi profondément et il resta prostré un long moment. Puis il se força à étendre ses membres et parvint à se relever. Ce fut d'un pas chancelant qu'il rejoignit le chevalet sur lequel gisait Isabella, après avoir rengainé son arme. Celle-ci était étrangement immobile et son esprit semblait apaisé. Mais Johannes, prudent, maintint ses défenses mentales.

Elle leva la tête vers lui comme il s'approchait et Johannes lut le soulagement dans ses yeux. Il prit appui sur l'ancien établi puis s'affaira à la libérer de ses liens. Il aida sa maîtresse à s'asseoir mais ce faisant, il ne put se retenir de l'embrasser. Bien que marquée par les terribles épreuves de heures précédentes, sa beauté le subjuguait toujours. D'abord surprise, elle lui rendit son baiser fougueusement, heureuse d'être encore en vie. Il la serra alors dans ses bras et réalisa, par le soulagement immense qu'il ressentait, que ses sentiments pour elle dépassaient la simple attirance physique.

Ils attendirent quelques minutes que le sang affluât de nouveau dans les membres engourdis d'Isabella puis ils se dirigèrent lentement vers le couloir par lequel Johannes était arrivé. Ils parcoururent le chemin en sens inverse, gravirent les marches couvertes de mousse et parvinrent devant la sphère de magie qui obstruait le passage. Isabella interrogea Johannes du regard mais avant qu'il ne puisse répondre, la barrière s'écarta et leur livra le passage. Trop secoués pour en chercher la raison, ils reprirent leur marche vers la surface.

Sans l'aide de Mazim pour les guider, ils errèrent plusieurs heures dans les égouts, en silence. Chacun était perdu dans ses propres pensées et n'avait pas la force d'engager la conversation. L'odeur infecte et l'eau pourrie leur paraissaient douces en comparaison des épreuves endurées dans les sous-sols de la Guilde des Orfèvres. Finalement, presque par hasard, ils se retrouvèrent devant le mur de briques effondré par où ils avaient pénétré dans le dédale. Quelques minutes plus tard, ils montaient péniblement l'échelle menant au sous-sol du manoir.

Johannes soutenait Isabella pour gravir les dernières marches de l'escalier, ultime effort avant le retour à la civilisation. Il aidait son amante sans peine, ses forces lui étaient revenues progressivement durant leur errance dans les égouts. Malgré le supplice qu'il avait enduré face à Arwald, il se sentait maintenant plein de vitalité. Son corps regorgeait d'énergie et il goûtait pleinement l'euphorie d'être en vie et de serrer Isabella contre lui. Il trébucha et ils manquèrent de s'écrouler dans le couloir. Isabella grogna légèrement de surprise mais ne lui en tint pas rigueur, se raccrochant à lui et prolongeant volontairement leur étreinte.

Deux serviteurs surgirent devant eux et ne purent se retenir de crier en voyant le couple crasseux et puant émerger du sous-sol. Des bruits de course retentirent et trois gardes déboulèrent dans la foulée, la main sur la garde de leur épée. Leur stupeur passée, ils se précipitèrent pour soutenir leur maîtresse. Johannes la laissa s'en aller à contrecœur. Isabella tourna son regard vers lui.

— Je ne saurai jamais comment te remercier, je te dois la vie, dit-elle le souffle court. Encore une fois. Qui était cet homme... ou plutôt ce fantôme ? Il te connaissait ?

— Qui est Gawyn de Misantia ? La question lui brûlait les lèvres depuis qu'ils étaient sortis égouts. Son ami était peut-être mort à cause des jeux mesquins auxquels se livraient les Seigneur-Marchands. Il devait en avoir le cœur net. Il le devait à Arwald.

Isabella se figea en entendant ce nom. Prise au dépourvu et épuisée, elle perdit brièvement le contrôle de ses émotions et son visage fut le temps d'une seconde un livre ouvert pour Johannes. Alors il se souvint. Il se souvint de la salle voûtée et des liens qui enserraient ses poignets dans son dos. Il se souvint de la souffrance irradiant dans son bras depuis son pouce sectionné et qui masquait à peine la douleur des tortures des trois jours précédents. Il se souvint d'Isabella hochant la tête, un sourire carnassier aux lèvres, tandis qu'une lame lui tranchait la gorge.

D'un mouvement foudroyant, il dégaina sa dague de la main gauche et lui fit décrire un arc de cercle en étendant son bras vers Isabella. Une petite voix en lui se demanda pourquoi il s'était servi de cette main puis le sang jaillit à gros bouillon de la tête à demi sectionnée de son amante. Il lâcha son arme quand il réalisa l'atrocité qu'il venait de commettre puis le rire grave et chantant aux accents d'Arkos qui résonna en lui se mêla à ses hurlements d'horreur.


L'Appel du NécromantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant