Chapitre 22

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Ilnuir le précédait d'un pas lent dans le couloir traversant l'étage de sa demeure. Johannes s'était levé deux jours après son réveil et depuis, sa fatigue s'était en grande partie dissipée. Son ancien professeur le conduisit dans une petite pièce sans fenêtre, dont les murs tapissés d'étagères supportaient le poids de nombreux livres ou babioles que Johannes peina à identifier, quand il le put. Au centre trônait un meuble étroit lui arrivant à la poitrine, recouvert par un drap. Ilnuir alluma un chandelier sur une étagère. Puis il ôta le drap, dévoilant une sculpture curieuse : trois pieds métalliques montaient en s'enroulant pour soutenir une demi-sphère ouvragée en pierre, du gré semblait-il, et évidée en son centre. La sphère devait mesurer environ cinquante centimètres de diamètre. De fines rayures couraient le long des pieds et se rejoignaient à leurs sommets.

Ilnuir forma un bol avec ses mains, comme pour recueillir de l'eau à une fontaine, et se concentra. Rapidement, un filet d'eau apparut dans ses paumes et ruissela dans la vasque. Lorsqu'il l'eut remplie, Ilnuir se tourna vers Johannes :

— Maintenant, quoi qu'il advienne, contente-toi de regarder. Tu me poseras tes questions plus tard.

Une onde légère parcourut l'eau. Le reflet de la pièce se troubla puis disparut pour laisser la place à des ténèbres insondables. Un nouveau frémissement et de la lumière apparut au centre, grossissant rapidement. Johannes s'aperçut alors qu'il regardait une scène familière mais d'un point de vue impossible. Il semblait suspendu dans les airs, à quelques mètres au-dessus des pavés de sa rue. Les badauds qui s'y promenaient semblaient légèrement flous mais sa boutique et celle de Clothilde apparaissaient nettement dans la lumière du jour. Toute la scène se déroulait dans le silence le plus total. Dérouté, Johannes remarqua une silhouette qui remontait la rue et dont les formes se précisèrent peu à peu quand elle se rapprocha. Il reconnut immédiatement les vêtements raffinés qu'elle portait : c'étaient les siens ! Il était en train de se regarder ! Il leva les yeux vers Ilnuir pour lui poser une question, mais se rappela la consigne de son mentor et se tut. Il replongea le regard dans la vasque et se vit s'arrêter sur le pas de la porte de sa boutique. Il se souvint alors qu'il portait ces vêtements en revenant du manoir d'Isabella et il frémit en anticipant la suite.

La porte s'ouvrit sans effort et il rentra dans sa boutique comme il l'avait fait des milliers de fois. La silhouette disparut à moitié de son champ de vision mais s'arrêta net. Sans qu'il eut pu esquisser le moindre geste, un torrent de flamme se déversa depuis la boutique et l'enveloppa. Il se vit alors propulsé de l'autre côté de la rue. Étrangement, il n'avait pas le souvenir que la porte, arrachée de ses gonds, avait traversé la rue avec lui pour venir s'encastrer dans une fenêtre de Xaviej. Son corps heurta violemment la façade du forgeron puis s'écroula mollement sur les pavés, inanimé. La scène se troubla progressivement et l'eau redevint opaque.

— Tu as vu ce qu'il s'est passé lors de l'explosion. Maintenant, regarde ce qui s'est produit avant.

Une nouvelle ride parcourut la vasque puis la nuit apparut. Il contemplait la même scène, mais l'heure et le point de vue différaient. C'était comme s'il s'était tenu à une fenêtre de l'étage chez Xaviej, en surplomb de sa boutique. Le feu des torches disposées régulièrement éclairait la rue. L'une d'elle, accrochée à l'anneau fiché tout près de sa porte, fut voilée par une silhouette trapue se déplaçant lentement. La torche réapparut lorsqu'elle s'immobilisa devant sa boutique. L'homme, à en juger par sa carrure, portait des vêtements grossiers reprisés maintes fois. Son dos était courbé sous le poids d'un sac accroché par deux cordes lui enserrant les épaules. Il sortit un outil de sa poche et se colla à la porte. Quelques secondes plus tard, cette dernière s'ouvrit. Jetant un rapide coup d'œil dans la rue, il s'engouffra dans la boutique et referma la porte derrière lui. Moins d'une minute plus tard, l'homme ressortit, allégé de son sac. A ce moment, la lumière projetée par la torche inonda son visage et Johannes sursauta en le reconnaissant. Un visage rond, rougeaud, encadré par des cheveux soigneusement ramenés en arrière et jurant avec sa tenue reprisée. Il l'avait vu chez Isabella le matin avant l'explosion, un serviteur qu'il avait surpris lui jeter des regards en coin. Il ne s'en était pas inquiété sur le moment, mettant cela sur le compte de la jalousie ou de la curiosité.

Le serviteur s'éloigna de chez lui en descendant la rue et sa silhouette perdit progressivement en netteté. La vision se figea puis l'eau s'obscurcit rapidement. Levant la tête vers Ilnuir, Johannes vit ses traits se détendre tandis qu'il relâchait sa concentration. Les yeux de son mentor se rivèrent aux siens et pendant un instant, il ressentit toute la puissance qui émanait du vieil homme. Puis son regard s'adoucit et un mince sourire se dessina sur ses lèvres.

— Descendons dans le salon, j'ai besoin de m'asseoir. Mais avant, vide l'eau.

— Mais la vasque est bien trop lourde pour...

— T'ai-je dit de le faire avec tes mains ?

Devant l'expression amusée de son mentor, Johannes ne put se retenir de sourire de sa bêtise. Il se retourna et se concentra à son tour.


L'Appel du NécromantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant