Chapitre 23

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Le thé fumait dans leurs tasses et Johannes bouillait intérieurement. De nombreuses questions se bousculaient dans sa tête et il savait qu'il n'obtiendrait pas toutes les réponses immédiatement. La seule chose qu'il avait déjà apprise, c'est que son vieux professeur pratiquait la Divination, pourtant interdite depuis un siècle. Et les conséquences en étaient graves pour son mentor, mais également pour lui maintenant qu'il le savait. Son regard s'abîmait toujours dans sa tasse de thé lorsqu'Ilnuir rompit le silence :

— Je t'ai révélé ce secret car c'était la seule façon d'en apprendre davantage sur la personne qui veut ta mort. Crois-moi, j'aurais agi différemment si j'avais pu. Je suis conscient que tu dois désormais choisir entre me dénoncer aux Magisters comme tout élève de l'Académie l'a juré et garder ce secret pour toi et ainsi trahir ton serment. De plus, si je suis découvert, il vaudrait mieux pour toi que je meure avant qu'ils m'interrogent car ils apprendraient que tu as gardé ce secret. Et tu encourras le même châtiment que moi.

— Les Magisters tortureraient et tueraient père et mère s'ils s'en sentaient le devoir. Vous savez que je les abhorre et que je ne vous dénoncerai pas. Et que je suis honoré que vous soyez prêt à me confier votre vie pour sauver la mienne. Mais vous devrez également porter le fardeau de la mienne en faisant tout pour ne pas être découvert. Nous voici donc ensemble face à cette éventualité. Sans oublier que quelqu'un veut ma mort. Ma vie prend un tournant que je n'aime pas. Mais par pitié, avez-vous autre chose que du thé ?

Johannes vida coup sur coup deux verres du vin qu'Ilnuir venait de lui servir. Ce dernier n'avait montré aucun signe de soulagement lorsque Johannes avait promis de ne pas le dénoncer. Le vieux professeur devait déjà s'en douter. Mais il avait plus grave à penser.

— J'ai reconnu l'homme dans la vasque. Celui qui a essayé de me tuer. C'est un domestique d'Isabella. Je l'ai vu le matin dans son manoir.

— Que faisais-tu au manoir des Lokkette ? Je sais que tu as travaillé pour son oncle. Est-ce lié ?

— De Lens m'a invité à une réception la veille au soir. Pour le service que je lui ai rendu. J'y ai fait la connaissance de sa nièce. Après le dîner, une troupe de théâtre a donné une représentation. Lors de la scène de l'embuscade dans la ruelle,... oui, celle d'Orval... le lanceur de couteaux a essayé de tuer Isabella. Je lui ai sauvé la vie par pur hasard. Elle a eu beaucoup de chance. L'intendant de De Lens a abattu l'assassin avec une arquebuse. Je n'avais jamais entendu un bruit aussi assourdissant ! Puis De Lens a souhaité que je la raccompagne à son manoir, où j'ai passé la nuit.

— Et bien ! Tu as une façon très particulière de te faire remarquer des puissants de la ville. Avec les conséquences que tu connais. Je n'ai pas eu vent de cette tentative d'assassinat chez De Lens, il a dû faire en sorte que les convives gardent pour eux ce qu'ils ont vu. Ce n'est guère étonnant quand on connaît la puissance et l'influence de cet homme.

— Pensez-vous que De Lens ait essayé de m'éliminer ? Pour que je ne puisse pas ébruiter les événements du soir ?

— Non. Comme je t'ai dit, De Lens est avant tout un homme pragmatique. Tu t'es révélé utile, il te gardera tant qu'il pensera avoir besoin de toi. Et il sait que tu ne parleras pas. De plus, il n'aurait pas impliqué un domestique de sa nièce. Il a assez de serviteurs pour s'acquitter de ses basses besognes. Et je ne vois pas Isabella tenter de te tuer non plus. As-tu pu inspecter le corps de l'assassin avant de raccompagner Isabella ?

— Oui, j'ai insisté auprès de De Lens avant de partir. J'ai sondé son esprit avant qu'il ne disparaisse, essayant d'y trouver quelque motivation ou information d'intérêt. J'ai été surpris par... ce que j'y ai trouvé. Tout d'abord, il émanait une immense souffrance des sensations que j'y ai perçues. J'ai saisi un souvenir dans lequel l'homme était torturé dans une salle. On lui avait sectionné le pouce. Pourtant, l'assassin n'était pas mutilé de la sorte. Puis j'ai compris que l'homme était motivé par une haine profonde. Mais avant que je ne puisse en connaître la cible, tout a disparu. D'un seul coup. Comme si je regardais dans l'esprit d'un homme mort depuis des heures. Un tel effacement n'est pas normal. L'esprit s'accroche encore plusieurs heures après la mort.

— Un tel effacement requiert l'usage de la Nécromancie. Et une grande maîtrise. Pourtant, nous sommes les deux seuls à Blacharque qui pourraient approcher une telle connaissance de cet Art. Et il faudrait que avoir découvert ce moyen par nous-mêmes car il n'est certainement pas enseigné à l'Académie. Je ne peux malheureusement rien t'apprendre à ce sujet. Il faut que tu retournes chez De Lens, en espérant qu'il ne se soit pas débarrassé du cadavre. Il y a aussi un autre sujet que tu dois éclaircir : qui étaient les hommes qui te suivaient dans le bois en dehors de la ville ?

Johannes hoqueta de surprise et faillit s'étouffer. Ilnuir reprit aussitôt :

— Oui, je t'observais car j'étais impatient d'en apprendre davantage sur ta dague. Lorsque je me suis rendu compte que tu étais suivi, j'ai fait en sorte que tu t'en aperçoives également.

— La bourrasque, c'était vous ? Il est possible d'agir à travers l'autel de divination ?

— Oui, c'est possible. Mais au prix d'un grand effort. J'ai dû interrompre mon observation aussitôt, je tenais à peine sur mes jambes. Tes poursuivants étaient trois, dont une femme. Je pense que l'homme qui a essayé de te tuer était parmi eux.

— Ils ont dû perdre ma trace sur la route. De toute façon, ils savaient où me retrouver.

— Ce qui n'est plus la cas, désormais. Tu as l'avantage qu'ils te croient mort, à toi de retrouver ce serviteur et de le faire parler. Et prend ta dague avec toi, tu en auras probablement besoin.


L'Appel du NécromantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant