Chapitre 24

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La devanture de sa boutique n'était plus qu'un amas de pierres et de bois carbonisé et la fenêtre jouxtant la porte avait disparu avec la majeure partie de la façade. On avait déblayé la rue des gravats, les repoussant de chaque côté, si bien que le seuil de la forge de Xaviej était recouvert de débris. Ses fenêtres avaient dû exploser sous l'impact de la déflagration car les volets étaient désormais clos. Johannes se promit d'aller voir le forgeron pour le remercier et le dédommager. Il lui restait encore une partie importante de la paie de De Lens. Mais il avait plus important à faire avant.

Il enjamba les décombres et entra chez lui. L'intérieur, maintenant vivement éclairé par la lumière du jour, était ravagé. Les présentoirs, les étagères, les bocaux et toutes ses herbes jonchaient le sol, carbonisés. Une fine pellicule de givre recouvrait le tout. Au fond de la pièce, là où se dressait auparavant le comptoir, un homme arborant une épée à la ceinture montait la garde malgré la température hivernale. Il était assis sur la chaise de Johannes, seul meuble encore intact car abrité par le comptoir lors de l'explosion. L'homme se redressa quand Johannes entra puis se rassit lorsqu'il l'eut reconnu. Puis il porta à ses lèvres une flasque qui répandit une odeur d'alcool frelaté dans la pièce. La cheminée étant inutilisable, il fallait bien lutter contre le froid. Ils se saluèrent d'un bref hochement de tête puis Johannes reprit son inspection. Le plafond s'était en partie effondré et Johannes contempla un moment le coffre de sa chambre, à présent éventré et son contenu répandu dans la salle. Une partie des vêtements autrefois soigneusement pliés avait partiellement brûlé. Il ne prit pas la peine d'y fouiller et s'en détourna.

La porte du fond, heureusement fermée, était brûlée sur toute la partie supérieure mais elle avait tenu bon. Il caressa l'espoir qu'elle eût protégé son atelier. Il s'en approcha et constata avec satisfaction qu'elle s'ouvrait sans peine. Il pénétra dans la petite salle dans laquelle il préparait les infusions pour ses clients et poussa un soupir de soulagement. Tout était intact. Si les étagères et les présentoirs de la boutique étaient détruits, ils étaient néanmoins remplaçables. Au contraire, son établi, ses ustensiles et son alambic représentaient une telle somme qu'il n'aurait pu les racheter. Même s'il n'aimait pas faire de nouveau appel à son ancien professeur, il demanderait ce soir à Ilnuir d'envoyer ses serviteurs chercher son matériel. La bâtisse était trop ravagée pour qu'il envisageât y vivre de nouveau. Cette évidence le frappa soudainement. Il réalisa que les efforts de ces dernières années venaient de partir en fumée. Même si une partie de son matériel avait survécu, il ne retrouverait pas sa vie paisible de commerçant avant longtemps. S'il survivait à la personne qui voulait sa mort et qui disposait visiblement des moyens pour y parvenir.

Il chassa ces idées noires et retourna dans la pièce principale, en fermant la porte derrière lui. Son regard se porta alors vers les escaliers montant à la chambre. Les premières marches avaient visiblement souffert et il n'osait y poser le pied. La structure de l'escalier semblait cependant encore solide. Aussi, il saisit la rampe, se hissa d'un bond et atterrit sur la quatrième marche qui grinça affreusement, mais tint bon. Il se retourna vers le garde et constata que ce dernier l'observait d'un air curieux et s'attendait probablement à ce que l'escalier s'effondre sous son poids. Déçu d'être privé d'un tel spectacle, il avala une nouvelle rasade de sa flasque.

Johannes monta les marches et embrassa du regard ce qu'il restait de sa chambre. Le trou dans le plancher, d'où le coffre à vêtements avait chu, semblait moins important vu d'ici. Ni le second coffre ni l'armoire n'avaient souffert et les parchemins, bien que soufflés et éparpillés par terre, avaient bénéficié du temps sec des derniers jours. Son bureau était toujours recouvert du capharnaüm habituel. Johannes espéra qu'ici aussi les serviteurs d'Ilnuir se montreraient précautionneux en récupérant ses parchemins. Il se dirigea vers le coffre et le déverrouilla rapidement. Il s'empara de diverses fioles et les glissa dans son sac. Puis il saisit la petite boite en bois dans laquelle il avait rangé la dague et l'ouvrit. La lame était fixe et son éclat éternellement terne, malgré la lumière du jour inondant la pièce. Ses yeux parcoururent lentement le tranchant puis la poignée, admirant leur facture exceptionnelle. Il resta quelques minutes à s'abîmer dans la contemplation de l'arme et ressentit un profond soulagement de la retrouver. Jusqu'alors, il ne s'était pas aperçu de son attachement à la dague. Jusqu'à la peur à son réveil de l'avoir perdue puis l'attente de pouvoir revenir la chercher. Non sans regret, il referma la boite, la cala sous son bras et se leva. Il redescendit précautionneusement les marches et sauta les dernières pour atterrir en souplesse sur le sol jonché de gravats.

En ressortant, son pied buta sur un décombre qui fut projeté au milieu de la rue. Il reconnut son enseigne en bois, auparavant suspendue au-dessus de la porte. Les bords étaient calcinés mais l'iris s'y distinguait encore. C'est avec un pincement au cœur qu'il détourna les yeux. Il était temps de retourner chez Ilnuir. Mais avant, une visite à Xaviej s'imposait.


L'Appel du NécromantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant