Chapitre 21

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Il reprit conscience péniblement. Sa première sensation fut le poids immense d'une fatigue telle qu'il n'en avait jamais ressentie. La seconde fut le goût écœurant qui emplissait sa bouche pâteuse. Un mélange d'acidité et de pourriture, comme s'il avait bu l'eau saumâtre d'une marre stagnante. Son esprit embrumé tenta de lui dire qu'il connaissait ce goût, qu'il était caractéristique. Mais de quoi ? La réponse lui échappait.

Il peina à ouvrir les yeux. Il découvrit un plafond dont il distinguait vaguement les moulures ouvragées trois mètres plus haut. En tournant la tête, il contempla une chambre inconnue plongée dans la pénombre. Les volets étaient clos, les rideaux tirés et l'unique porte fermée. Ses yeux habitués à l'obscurité distinguèrent quelques meubles de belle facture et un chandelier posé sur une petite table. Il voulut se relever mais l'effort se révéla trop intense et sa tête retomba sur l'oreiller. Où était-il ? Et surtout que s'était-il passé après qu'il ait ouvert la porte de sa boutique ? Malgré la langueur qui l'accablait, ses souvenirs gagnaient en clarté. Le chemin du retour, la Grandplace, sa porte qui butait contre un obstacle, la déflagration et puis plus rien.

Lorsqu'il tenta d'appeler quelqu'un, sa gorge n'émit qu'un râle étouffé et il dut s'y reprendre à deux fois avant de retrouver sa voix. Il espéra que son cri fût entendu. Par la fenêtre, il perçut les claquements de sabots ferrés sur des pavés. Il n'était donc plus dans son quartier commerçant aux rues étroites. Les craquements de plusieurs marches d'escalier lui apprirent que quelqu'un approchait. Les bruits de pas s'intensifièrent et la porte s'ouvrit, inondant la pièce de lumière. Plissant les yeux face à cette soudaine agression, il reconnut la silhouette de son ancien professeur. Qui d'autre était aussi grand et mince ?

— Alors, mon garçon ? Comment te sens-tu ? lui demanda Ilnuir en s'approchant du lit. Dans sa voix perçait un soupçon d'inquiétude que Johannes lui connaissait rarement.

— Épuisé... Que... Que s'est-il passé ?

— De quoi te souviens-tu exactement, lui demanda Ilnuir en s'asseyant sur la chaise disposée près du lit ?

— Je me souviens être rentré chez moi. Lorsque j'ai poussé la porte, elle a buté contre quelque chose placé derrière. Puis... le feu, tout autour de moi. Je me suis senti projeté en arrière. Puis plus rien.

— Tu as beaucoup de chance d'être encore en vie. Et indemne de surcroît. Quelqu'un a placé un baril de poudre dans ta boutique, et un ingénieux système pour qu'il explose quand tu rentres. La moitié de la ville ne parle que de cette explosion. Je me suis rendu sur place après avoir entendu la détonation. J'étais en bas du quartier commerçant, à ce moment-là. Quand je suis arrivé près de chez toi, j'ai vu que le panache de fumée provenait de ta boutique. Des voisins et des badauds se pressaient déjà pour essayer d'éteindre les flammes. Il y avait un autre attroupement de l'autre côté de la rue, devant le forgeron.

— Xaviej...

— Oui, Xaviej. Il était accroupi auprès de toi, le visage ensanglanté par une blessure au front. Certainement un éclat de verre qui l'a atteint lors de l'explosion. Toutes les vitres à cinquante mètres à la ronde se sont brisées ! Tu gisais par terre, apparemment mort. Tu n'avais aucune trace de brûlure, mais tu respirais très faiblement et ton cœur battait à peine. Xaviej t'a transporté chez lui et j'ai envoyé un coursier chercher mes gens pour te ramener ici.

Il marqua une pause dans sa narration puis sembla se souvenir d'un détail.

— Ne t'en fais pas pour ta boutique, j'ai engagé deux mercenaires des Lokkette pour en interdire l'accès jour et nuit.

— Jour et nuit ?

— Oui. Cela fait deux jours que tu es ici. Ta boutique, ou ce qu'il en reste, aurait été pillée en moins de temps que ça.

— La dague ! Il faut que j'y...

Johannes tenta de se relever mais l'effort se révéla insurmontable. Il parvint à peine à se redresser sur un coude, avant que ce dernier ne le trahisse et qu'il retombe lourdement sur l'oreiller.

— Du calme ! Tu n'es pas en état de te lever. Tu as puisé dans tes forces bien au-delà du raisonnable. Tu dois te reposer. La mixture que je t'ai faite avaler ne t'aide que temporairement. Et ta boutique est bien gardée. Rien ne presse.

— De la fleur de sbare... Je n'en ai pas pris depuis l'Académie. Où en avez-vous trouvé ?

— L'herboriste du Prince-Marchand est une vieille connaissance de l'Académie. Il suffisait d'y mettre le prix.

Son visage se fit penseur et il reprit :

— Te souviens-tu de quoi que ce soit lors de l'explosion ?

— Simplement être projeté violemment en arrière. Les pavés de la rue qui défilent sous mes pieds. Puis un choc. Je devrais être mort. Que s'est-il passé ? Penses-tu qu'un autre mage se trouvait là ?

— Non, il n'y en avait pas. Mais si ça avait été le cas, il n'aurait pu réagir aussi rapidement. Et ça n'expliquerait pas ton état de fatigue extrême. C'est ta magie qui t'a protégé. Une magie instinctive et non volontaire. J'y ai réfléchi depuis que je t'ai ramené ici. Je ne vois que ça. C'est une forme de magie rare et totalement imprévisible, car la magie émane par essence de la volonté du mage qui la manipule et la crée. L'instinct n'a rien à voir là-dedans. Laisse-moi chercher dans ma bibliothèque. Il y a peut-être des écrits à ce sujet. En attendant que j'en sache davantage, repose-toi. Tu en as besoin.

Johannes acquiesça. A peine son mentor eut-il quitté la pièce qu'il sombra dans un sommeil sans rêve.


L'Appel du NécromantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant