Chapitre 38

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Johannes fut brusquement tiré de son repos par le grincement aigu de la porte. Un jet

de lumière l'aveugla et il leva son bras pour protéger ses yeux encore engourdis de sommeil. Il vit s'approcher deux gardes qui passèrent chacun une main sous ses bras et le hissèrent sans ménagement sur ses pieds. Des élans de douleurs traversèrent ses membres tuméfiés. Ils n'attendirent pas qu'il fût debout pour le sortir de sa geôle et il se rétablit dans le couloir, ses jambes ankylosées rechignant à supporter son poids après ces jours de prostration. Il remonta le couloir, davantage porté qu'il ne marchait, et fut surpris de constater que les torches étaient toutes allumées. D'habitude, l'obscurité régnait en ce lieu. Un reflet fugace sur l'uniforme d'un garde attira son attention. L'homme ne portait pas la tenue habituelle frappée du blason de Blacharque. A la place, il était vêtu d'un pourpoint noir à manches courtes recouvrant une chemise rouge élégante aux manches bouffantes. Des chausses sombres en laine et des bottes de cuir noir lustré attestaient de l'aisance de leur porteur mais sans rien indiquer de son origine. Son comparse était vêtu de même.

On lui fit parcourir un dédale de couloirs étroits et humides jusqu'à atteindre une ouverture en ogive. Une porte métallique en barrait habituellement l'entrée, à en juger par les traces de rouilles au sol, mais elle était actuellement ouverte. Les deux hommes le lâchèrent devant la porte mais avant qu'il puisse se redresser convenablement, une violent bourrade dans le dos le propulsa dans la salle. Il fut immédiatement frappé par la chaleur ambiante mais trébucha sur les pierres inégales de l'entrée et s'étala de tout son long. Sa lèvre heurta le sol et il la sentit se fendre sous l'impact.

Il prit lentement appui sur ses bras pour se relever, tandis que ses yeux couraient de droite à gauche. Un brasero flambait dans la cheminée. Johannes allait en détourner son regard lorsqu'un détail le frappa : aucune bûche ne brûlait dans l'âtre, les flammes sortaient simplement du sol noirci. Que faisait un mage ici ? La pièce contenait une chaise en bois et un fauteuil occupé par un personnage sinistre. Son visage carré, rasé de près, et son regard sévère juraient avec le fin sourire presque jovial qu'on devinait sur ses lèvres. Une robe noire, sans motif aucun, renforçait l'angoisse que Johannes commençait à ressentir. Une malle ouvragée occupait un coin près de la cheminée.

L'homme dégageait une aura d'autorité presque palpable et Johannes comprit instantanément qu'il y avait danger à lui mentir lorsqu'il prit la parole, d'une voix calme et faussement aimable :

— Asseyez-vous, Johannes.

Il obéit et prit place sur la chaise en bois. Une minute s'écoula pendant laquelle l'homme fit mine de réfléchir.

— Vous me posez un sérieux problème, Johannes. Je ne parle pas de la Seigneur-Marchande que vous avez égorgée devant ses domestiques. Elle ne représente rien pour moi et les autorités de la ville se chargeront de vous juger pour ce crime. Le Prince lui-même vous jugera, en fait. Un crime d'une telle gravité ne peut être traité autrement. Mais vous savez probablement tout cela, ainsi que l'issue du procès. Aussi ne vais-je pas perdre davantage de mon temps. Je suis venu pour ceci, dit-il en extirpant de sous sa robe la dague d'Anderoth.

Johannes nota qu'il la tenait par le manche, sans gant. Il n'en fut pas surpris. La lame ondulait doucement.

— Personne n'est assez sot pour assassiner quelqu'un à la vue de tous, et encore moins une noble aussi puissante. A moins que vous ne teniez plus à la vie. Mais j'en doute. Je pense plutôt que vous avez agi sous l'impulsion de la dague. Oui, comme vous, je peux sentir la souillure de l'esprit emprisonné dans sa garde et ses tentatives de me corrompre. Vous semblez surpris ? Vous ne saviez donc pas que l'esprit loge dans la garde et non la lame ? Votre ignorance est pathétique. Vous maîtrisez plutôt correctement la Nécromancie, mais vous n'en restez pas moins un idiot qui s'est laissé surprendre et a baissé ses défenses.

— Vous êtes un Magister ?

A peine eut-il posé sa question qu'un choc violent sous la mâchoire l'expulsa de sa chaise et l'envoya rouler par terre. Il n'avait rien vu venir, simplement senti son interlocuteur canaliser puis l'air s'était solidifié pour le frapper au visage.

— Je suis le Magister Albrecht. Et souvenez-vous que c'est moi qui pose les questions, ici. Rasseyez-vous.

Johannes se releva doucement pour ménager ses côtes meurtries et obéit. Il savait être seul depuis qu'on l'avait jeté au fond de son cachot, sans aucun espoir d'aide quelconque, mais la situation avait brusquement pris une tournure imprévue. Il était maintenant à la merci d'un homme prêt à tout pour le faire parler et habitué à obtenir les informations qu'il recherchait. De plus, il n'était plus le seul en danger. Désormais, son ami Ilnuir l'était également. Ce qu'il savait des activités divinatoires de son ancien professeur le mènerait à l'échafaud si Albrecht l'apprenait. La panique s'empara de lui, chassant la léthargie dans laquelle son esprit s'était enfoncé ces derniers jours. Ses pensées redevinrent claires. Son interlocuteur perçut ce changement subtil, sans doute au raffermissement de la posture de Johannes sur sa chaise, ou au changement d'expression sur son visage.

— Je vois que vous prenez enfin conscience de la situation dans laquelle vous vous trouvez. Vous n'avez aucune issue autre que la hache du bourreau, mais c'est un traitement plus doux que celui que je suis en mesure de vous infliger. Je veux des réponses et vous me les donnerez. Où avez-vous trouver cette dague ?

— Dans les égouts. Je l'ai ramassée en poursuivant Ian.

— Vraiment ? C'est intéressant. Dans ce cas-là, nous avons un autre problème, dit-il en se levant pour ouvrir la malle ouvragée, d'où il retira une pièce de fourrure. Si vous avez trouvé la dague dans les égouts, avec quelle arme avez-vous tué ce chat, il y a quelques jours dans les bois longeant la route d'Arkos ?


L'Appel du NécromantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant