Chapitre 13

168 17 0
                                    

Si j'ouvre les yeux avant mon arrêt, je rentre chez moi. Si je les ouvre après, je vais chez elle.

C'est ce que je me répète depuis une quinzaine de minutes, depuis mon entrée dans le wagon du métro. J'essaie de me faire perdre mes repères pour que le jeu soit honnête : je dois ouvrir les yeux uniquement quand je le sens vraiment. Et pour l'instant, je n'en ai pas envie.

Peut-être que je fuis mes problèmes en me cherchant une excuse débile de jeu contre moi-même, mais ça me rassure un peu. Dans tous les cas, je prie pour ne pas ouvrir les yeux trop tôt. Ça devrait me faire comprendre que je veux y aller, mais maintenant que le jeu est engagé, trop difficile de l'arrêter.

Et puis, garder les yeux fermés me permet de ne pas voir la réalité et la situation dans laquelle je me trouve. Ce matin, je me suis réveillée heureuse, épanouie et sereine. Ce soir, je me retrouve à me questionner sur toute mon existence et sa légitimité.

Non, je ne dois pas penser comme ça. Aller, Cléo, soit forte et ouvre les yeux !

Quand je les ouvre, mon arrêt est dépassé depuis déjà plusieurs minutes et un petit sourire grimpe sur mon visage. Bah voilà, il suffisait d'attendre. Parfait.

Alors quand je sors des souterrains et appelle Adélaïde, je suis un peu plus calme et soulagée qu'à mon départ du bureau.

— Ouais ?

— SOS. Je suis en crise, il me faut du vin et me plaindre.

— OK, j'ai ce qu'il te faut, déclare Adélaïde. Du vin, un plaid et une épaule.

— Je suis sur le chemin.

J'utilise mon double des clefs pour entrer dans l'immeuble quand j'arrive et rentre sans frapper. Je me dirige directement vers le fauteuil où je m'effondre et où Adélaïde me rejoint avec le plaid qu'elle enroule autour de moi tout en me glissant un verre de vin blanc dans les mains.

— Aller, raconte-moi tout.

— J'ai besoin de conseil.

— Amour, boulot, sexe ou autre ?

— Amour. Sexe. Ma vie entière, putain !

Je bois déjà une gorgée en laissant un gémissement plaintif m'échapper.

— OK, il vaut mieux ramener la deuxième bouteille à côté.

Je hoche la tête en reniflant, puis bois la seconde gorgée d'un coup.

— Aller, raconte-moi tout.

— Tu te rappelles du jour où Doteli est passé au bureau ?

— Ne me dis pas...

— Non, bien sûr que non ! Il pourrait être mon père ! Quoiqu'il est carrément canon pour son âge.

Elle esquisse un sourire en roulant des yeux, mais me fait signe de continuer.

— En repartant, j'ai vu qu'il avait plusieurs gardes du corps et parmi eux... Il y avait Isaac.

Je lui en ai déjà parlé, parce qu'à notre rencontre, arriver à Paris m'a rappelé qu'il était aussi ici et que je pouvais le croiser à tout moment. Je n'arrêtais pas de penser à lui et de parler de lui.

Quand je lui raconte l'histoire de cette folle semaine, elle me regarde attentivement, m'écoutant et hochant de temps en temps la tête. À la fin, je vois la grimace sur son visage.

— C'est un connard.

Je grogne en basculant ma tête en arrière pour fixer le plafond.

— Il a couché avec son ex, après la façon dont elle t'a traité, tu ne devrais même pas y réfléchir. Dégage-le.

Mon cœur se brise un peu dans ma poitrine quand j'entends la vérité derrière ses mots. Mais je n'arrive pas à les écouter.

Mais lorsque je relève la tête et plante mon regard dans le sien, elle soupire et hoche la tête en me rejoignant sous le plaid pour poser sa tête sur mon épaule.

— Bon... Vous n'étiez plus ensemble, alors je pars du principe que cette relation ne te regarde pas.

Ça me donne un peu d'espoir.

— Mais ! s'écrit-elle aussitôt en grognant. Il n'aurait jamais dû te le cacher quand tu lui as clairement posé la question.

— Il aurait dû me le dire dès le début.

— Parce que tu lui as dressé une liste de tous les mecs avec qui tu as couché depuis votre séparation ? me demande-t-elle.

— Non, marmonné-je.

— Alors pourquoi aurait-il dû te dire toutes les filles avec qui il a couché ? Bien sûr, le fait que ce soit son ex et que vous ayez eu une mauvaise relation pose problème, mais là, c'est surtout une question de communication et de confiance.

Elle hausse les épaules et me ressert mon verre que j'ai déjà vidé.

— En trois ans d'amitié, le seul homme dont tu m'as parlé, c'est lui. Tu l'aimes beaucoup trop pour devoir te monter le crâne pour cette histoire.

Ça me fait sourire et je hoche la tête.

— Je ne dis pas que tu dois lui pardonner dans l'heure, mais simplement que si tu n'as pas envie de le laisser partir, c'est normal. Parfois, il faut se battre pour les choses qu'on aime et qu'on veut. Et puis, il n'est pas mauvais. Il avait juste peur de te perdre à nouveau.

Ses paroles me trottent dans le crâne alors que j'entame mon second verre et je grogne en hochant la tête.

— Quand tu parles de ce weekend, tu as l'air heureuse et je ne t'ai jamais vu comme ça. Quand tu parles de lui, tu as toujours eu plein de tristesse et de solitude dans le regard, mais là, tu es vivante et passionnée. Il a été un connard, c'est un fait. Autant pour son ex que pour le surnom et tout le reste, mais tu l'aimes. Et ça mérite de prendre du recul.

Mon cœur en prend un léger coup parce que j'ai peur de prendre du recul et d'avoir à nouveau le cœur brisé, mais je sais qu'elle a raison.

— Ne lui parle pas pendant quelques jours. Puis, quand tu te sens prête, tu lui envoies un message, tu vas chez lui ou ce que tu veux. Vous vous expliquez, vous mettez les choses au clair et voilà. Et vous baisez, murmure-t-elle avec un clin d'œil.

Je souris et hoche la tête.

Prendre du temps pour moi... Je peux essayer.

K.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant