Chapitre 23

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Le plafond est blanc

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Le plafond est blanc. Plus je le regarde, plus j'ai l'impression que ma vie devient de plus en plus claire, elle aussi. Ça fait du bien.

— Très bien. Et comment tu te sens par rapport à ça ?

J'abaisse mon visage pour croiser son regard et arque un sourcil.

— Soulagée, je pense. D'un certain côté, ça m'effraie un peu, parce que je ne sais pas si je peux vraiment croire que tout ça arrive, mais d'un autre côté... Ça fait du bien de voir les choses changer.

— Tu as pu discuter avec lui ?

— Non, pas vraiment. Ce n'est pas parce qu'il a trouvé des copains de son âge que notre relation a changé. Il ne me parle toujours pas, je n'y arrive toujours pas, c'est comme ça.

— Je vois. Et qu'est-ce que tu aimerais lui dire ?

Ma tête retombe en arrière pour fixer le plafond, alors que je hausse les épaules.

— Je ne sais pas. Que je lui en veux, d'une certaine manière. Que je m'en veux, à moi aussi. Que... Je ne sais pas comment être heureuse.

— Ce n'est pas que tu ne sais pas être heureuse, Jordan, c'est que tu ne le veux pas.

Je ne réagis pas. Ce n'est pas la première fois qu'elle me dit ce genre de chose. Au contraire, j'ai l'impression de l'avoir assez entendu pour savoir ce qu'elle va dire ensuite.

— C'est plus facile de contrôler son malheur que de se laisser aller à croire au bonheur. Le bonheur ne dépend pas uniquement de nous, mais de tout ce qui nous entoure, alors qu'il est tellement facile de se laisser s'enfoncer dans le malheur, n'est-ce pas ?

Le plafond est très blanc. Ce n'est pas un blanc qui fait mal aux yeux, mais un joli blanc. La lumière est assez douce pour ne pas être agressive.

— Quand tu vois ton père se faire de nouveaux amis, tu te sens soulagée, parce que tu as l'impression qu'il s'autorise à nouveau à être heureux. N'est-ce pas ?

— C'est plus facile d'être malheureuse seule, que de faire semblant devant lui pour l'être encore plus derrière.

Ma voix est faible, pourtant, je ressens chaque mot qui m'échappe. C'est vrai. Je préfère qu'il soit heureux dehors, qu'il s'éloigne de moi, pour ne pas voir le désastre que je suis. Pourtant, plus il s'éloigne, et plus ça me fait mal.

— Pourquoi tu ne te laisses pas tout simplement respirer ? Tu ne ressens pas de bonheur dans ta journée ? Quand tu pâtisses, par exemple ?

La pâtisserie est un véritable plaisir pour moi, ce n'est pas une exagération. Pourtant, c'est éphémère. Je peux faire deux gâteaux d'affilé, être apaisé pendant quelques minutes, mais une fois que je quitte les cuisines, la vie reprend.

— Quand tu es avec ton père, tu n'es pas heureuse, malgré tout ?

La relation que j'entretiens avec mon père est à la fois angoissante et douce. On ne se parle pas, on n'échange pas, alors c'est à la fois agréable de ne pas s'appesantir sur le passé et nos émotions, mais à la fois si lourd d'éviter de régler nos problèmes.

— Il n'y a rien qui te rende heureuse ?

Oh. Il y a une légère tâche sur le plafond. Une minuscule imperfection. Comme une étoile dans le ciel. C'est joli de voir un défaut dans ce plafond si parfait.

Une étoile. Une si petite étoile, dans un ciel uni.

Non. Un soleil. Un petit soleil, vu de loin, au cœur d'horizon.

Ça me fait penser à Spencer. Quand je pense au soleil, à la chaleur agréable sur ma peau, à la lumière au cœur de l'ombre, je pense à lui.

Si, il arrive que je sois heureuse dans la vie, quand je suis bien entourée. Avec Spencer, je me sens apaisée d'un poids et si sereine. Il est là pour me montrer que quoi qu'il arrive, nous pouvons tout surmonter.

Il a vécu les mêmes choses que moi, dans la plupart des cas, et pourtant, je ne l'ai jamais vu abattu comme je le suis. Il me montre vraiment que je peux me relever en voyant les choses différemment.

— J'ai rencontré quelqu'un.

Je garde les yeux plaqués sur le plafond, évitant judicieusement son regard. Je ne veux pas qu'elle cherche dans mes yeux ce que je n'arrive pas à dire, je ne suis pas prête à l'entendre.

— Nous avons beaucoup de point commun, beaucoup de chose qui se ressemblent dans nos vies. Pourtant, nous sommes diamétralement opposés. Il est... le soleil. Le rayon de soleil qui éblouit les journées et réchauffe les âmes. Il est chaud, gentil et amusant. Tout ce que je ne suis pas. Pourtant, nous avons vécu les mêmes choses. Il me fait réaliser à quel point... Non, il me fait... Je réalise que... Mon Dieu. La vie est si courte. Pourquoi arrive-t-il à voir la vie du bon côté alors que je ne vois que le mauvais ?

Mes yeux se plantent dans les siens et je découvre son léger sourire. Je n'aime pas son attitude, comme si elle attendait que je réalise tout ça un jour. Je la paye assez chère pour qu'elle me dise ce genre de chose, non ? Pourquoi est-elle aussi souriante ?

— Il voit les choses d'une façon différente, c'est bien ça ?

Je hoche la tête, alors qu'elle esquisse un nouveau sourire en tapotant son crayon contre son bloc-notes.

— Et si tu essayais de voir comme lui ? Observe-le. Regarde comment il réagit chaque jour. Est-ce qu'il peut s'effondrer, des fois ? Est-ce qu'il est intouchable ? Mais surtout, quand il paraît triste, comment se relève-t-il ?

Il peut s'effondrer, oui. Le souvenir de ses sanglots me bouleverse, alors que je le tenais fermement dans mes bras. Je me souviens de sa tristesse, son désespoir. Mais surtout, je le revois le lendemain, déjà prêt à reprendre sa vie plus fort que jamais. Comment fait-il ?

— Tu as tant à apprendre des autres, Jordan. Regarde autour de toi, inspire-toi, vois à quel point la vie est imparfaite et pourtant pleine de beauté. Tu n'as pas à être malheureuse, Jordan. Tu n'es pas brisée, tu es simplement abimée. Parce que la vie n'est pas toujours facile, mais elle mérite malgré tout d'être vécu. D'accord ?

Je ne sais pas si je peux la croire, pourtant, un mince espoir gonfle dans ma poitrine.

Oui, je mérite d'être heureuse. Vraiment. J'en ai le droit.

Maintenant, suis-je prête à me battre pour l'être ?

ig : juciebg_

Black Bikers, Tome 5 : La souris abimée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant