CHAPITRE 15

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FLASH-BACK

Seona

Trop heureuse de faire ma rentrée de sixième au collège en bas de la rue, je me suis réveillée un peu trop en avance. Papa doit m'emmener ce matin, et j'ai tellement hâte que je n'arrive plus à contenir ma joie :

- Papa ! C'est la rentrée aujourd'hui ! Le réveillé-je, endormi dans le canapé du salon.

Il me tend ses bras pour me câliner, et je me jette sur lui pour l'accompagner.

- Ma petite fille devient grande, marmonne t-il dans mes cheveux longs.

Je souris, puis cours à la cuisine pour lui préparer son café. Son corps me suit, encore fatigué de sa nuit, mais le visage adoucit. Il s'installe sur la table, récupérant une banane dans la corbeille à fruits situé au centre. Le café prêt, je lui tend, en lui mettant deux sucres au passage.

- Merci ma puce, dit-il en touillant dans sa tasse fortement.

Je le rejoins et commence à grimacer :

- T'es sur-excitée ma parole ! Rigole papa.

Il a raison. J'ai l'impression d'attendre le collège depuis une éternité. Je me suis toujours dit que de changer d'école me permettrait de me faire des amis. Car tout au long de ma primaire, j'ai passé mes récréations à entendre des chuchotements suivis de rires lorsqu'un groupe de personnes passaient devant moi. Mais ce n'est même pas la seule raison. Je verrais peut-être un peu moins ma mère. Car c'est elle qui m'emmenait tout les matins à l'école, et qui me récupérait le soir. Mais là, la collège est en bas de la rue, je vais pouvoir m'y rendre seule.

Papa m'y dépose ce matin, comme pour chaque rentrée. C'est une sorte de petit rituel.

- Bon, je vais aller m'habiller, lance t-il en baillant.

Sa silhouette monte les escaliers pas à pas, et je nettoie la table. J'allume l'eau du robinet pour nettoyer la tasse de mon père, quand des bruits de pas s'accélère derrière moi :

- C'est pas bientôt fini ce boucan ? Me fait frissonner la voix de ma mère.

- Pardon, parviens-je seulement à murmurer.

Elle s'assoit subitement là où mon père avait pris place quelque minutes plus tôt, et m'ordonne :

- Fais-moi mon petit-déj'. Vite.

Je l'effectue sans tirailler, priant pour que ce moment s'arrête aussi vite qu'il est survenu. J'allume la bouilloire pour lui faire un thé, effectue des tartines de beurre, et un verre de jus de fruits. Je dépose tout ça devant elle, fébrilement, constatant qu'elle me scrute avec un grand sourire.

- T'es vraiment conne ma pauvre fille, lâche t-elle alors.

Je ne sais pas quoi répondre, mais je sais que si je ne dis rien, elle va me frapper.

- Pardon, dis-je encore.

Elle se lève brutalement, claque la chaise contre la table et s'avance dans ma direction. La peur m'envahit, quand je vois son bras se lever, et qu'elle me gifle. Si fort, que je ne sens même plus ma joue. Des pleurs coulent le long de mes yeux, impossible à retenir. Mes bras sont devant ma tête, prêts à intercepter le prochain coup.

- Pardon, pardon, pardon.. Tu n'a que ce mot à la bouche ? Hurle t-elle contre mes oreilles. Tu sais, dans la vie, il faut savoir se défendre. Regarde toi, crache t-elle. Tu es si misérable. Je ne sais pas ce que j'ai fais pour avoir mériter une fille comme toi.

J'ai envie de m'excuser encore, mais rien ne sort. J'ai ce « pardon » qui résonnent dans mon esprit.

- Allez ! Crie t-elle. Défends-toi, merde !

Je jure que j'ai envie de le faire, mais qu'est ce qu'il va m'arriver après, hein ? Au lieu de lui dire ça, je chuchote simplement :

- Arrête.

Ma voix est sorti si doucement que même une mouche ne m'aurait pas entendu.

- Quoi ? Me reluque t-elle. Répète ?

Je ne sais pas si je fais le bon choix, mais au point où j'en suis, je prend la décision de lui obéir. Alors c'est avec crainte et nervosité que je lui crie :

- Dégage !

A mon plus grand étonnement, ma mère rigole. Elle rigole, avant de me lancer un regard noir, et de me prévenir :

- Je serais toi, je sortirai de mon périmètre.

Je recule instinctivement. Ma respiration s'accélère et mes yeux s'humidifient encore plus. Je tente de cacher mes tremblements, mais me voir dans cet état semble être jouissif pour ma mère, et ça a le don de m'effrayer encore plus.

Tout à coup, et sans que je m'y attende, elle choppe du bout des doigts la bouilloire d'eau bouillante et la déverse sur mon bras gauche, recouvrant mon poignet en même temps. La douleur me transperce, me fait paniquer, au point d'hurler autant que je peux, avec l'espoir qu'on m'entende et qu'on m'enlève d'ici. Mais aucun son ne me parvient, à part les rires de ma mère, heureuse de son acte. La peau de mon bras me tire, je n'ose pas la regarder mais pourtant mes yeux se dirigent vers lui tout seul, pour y constater la rougeur et le gonflement de celui-ci. Je ferme les yeux, tenant mon coude, avec la hantise que mon bras se détache de mon corps tellement il est chaud et cramoisi.

Une voix me fait rouvrir les yeux, celle de mon père, affolé par mes cries et la vue de mon bras. Mon regard suit ma mère, toujours le sourire au lèvres, reculant pour laisser passer papa. Il me place le bras sous le robinet, allumant avec peu de débit l'eau froide. Je crie de douleurs, et les pleurs de mon père s'accompagnent aux miens. Il m'oblige à rester sous l'eau, prenant son téléphone pour appeler une ambulance.

Le temps qu'ils arrivent me paraît interminable, et c'est quand ils rentrent dans la maison que ma mère les accueille, l'air apeuré :

- Elle est dans la cuisine ! S'exclame t-elle.

Les pompiers viennent à mon niveau et me font les gestes de secours nécessaires. Ils décident tout de même de m'emmener à l'hôpital afin d'examiner ma plaie. Dans l'ambulance, la douleur s'atténue. Mon père est à mes côtés, me tenant la main. Lourdement, il me pose la question fatidique :

- C'est maman qui t'a fais ça ?

Comme s'il ne le savait pas..

Mes yeux dans les siens, je suis sûre qu'il connaît la réponse. En revanche, je suis surprise de ce qu'il raconte à ma place quand un des hommes nous demande ce qu'il s'est passé :

- Elle a voulu se faire un thé, explique t-il, et la bouilloire lui à échapper des mains.

Je l'examine avec insistance, imaginant qu'il nous aurai sorti de ce calvaire. Mais rien. Il me sourit simplement, me rassurant en me disant : « ça va aller ma puce, je suis là ».

Voilà comment je viens de rater ma première rentrée de collège, et qui va me valoir des moqueries tout au long de l'année.

À la nuit tombée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant