CHAPITRE 19

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FLASH-BACK

Seona

Il fait tellement froid dehors que je regrette presque de ne pas manger à la cantine du collège. Comme tous les midis, je marche jusqu'à chez moi, rejoignant ma mère pour le déjeuner.

Cinq petites minutes de marche avant d'atterrir en enfer.

La porte s'ouvre bien avant que je pose ma main sur la poignet. Le visage de Cruella m'accueille, le sourire jusqu'aux oreilles.

- Coucou ma fille, ose t-elle m'appeler en me laissant entrer.

Je me débarrasse de mon sac et mes chaussures, la scrutant avec mépris : pourquoi semble t-elle si joyeuse aujourd'hui ?

En général, quand elle est de bonne humeur, c'est qu'elle a un truc à me demander. Bah oui, sinon, ce ne serai pas drôle. Elle ne peut pas juste devenir une bonne maman du jour au lendemain.

Elle m'invite à m'asseoir en face d'elle, presque en me tenant la main. Je refuse ce geste tant que voulu il y a une époque, tandis que je prends place. Dans l'assiette, une bonne viande rouge et des pommes de terres sautées me font de l'œil. J'ai très faim, trop faim. Comme tout les midis. Mais aujourd'hui, quelque chose sonne différemment. Ma mère ne fais jamais à manger. Alors devant elle, j'examine mon plat : y a t-elle mis du poison ? Elle se met à rire, me voyant observatrice :

- C'est bon Soso, je ne vais pas t'empoisonner.

J'ai envie de rétorquer quelque chose, mais sa positivité me met en alerte. En revanche, le surnom qu'elle vient de me donner me déplaît fortement.

- Ne m'appelle pas comme ça, assumé-je en coupant ma viande.

Elle sourit puis fait de même. C'est marrant mais je ne la sens pas. En principe, quand je rentre, je me fais à manger pendant que Miss monde se maquille pour retourner au boulot. J'ai tendance à me préparer un sandwich ou à me faire une omelette : basique. Là, rien ne ressemble aux autres jours. 3 ans que je suis au collège et c'est la première fois que ça se passe ainsi.

J'évite de trop cogiter et dévore mon repas. C'est excellent. Impossible que ce soit elle qui l'ai préparé.

J'attends silencieusement qu'elle termine à son tour, prenant beaucoup plus de temps que moi, puis la scrute. Elle est laide. Belle à l'extérieur, mais moche à l'intérieur. Un Kinder surprise sans le jouet. Mes yeux sont de la même couleur que les siens mais je refuse de l'admettre. Je suis le portrait craché de mon père : les tâches de rousseurs, la couleur de peau, le caractère. Je tient tout ça de lui, et je remercie la Terre de ne m'avoir quasiment rien donné d'elle. Cette sorcière en rôle de mère.

Elle me tend enfin son assiette et ses couverts, puis par instinct ou par habitude, j'empile notre porcelaine afin de la déposer dans l'évier. Arrivée devant celui-ci, Cruella se marre :

- Ah, tu as enfin vu la tonne de vaisselle que tu as laissé ?

Et là, mon cerveau tilt.

Je n'ai même pas zappé de la faire hier soir, j'avais seulement un mal de crâne pas possible m'obligeant à me foutre dans le noir dès que je le pouvais. J'ai dormi comme un bébé, tellement comme un bébé que je n'ai pas entendu mon réveil ce matin. Je suis arrivée en retard à mon cours de français et la prof' m'a renvoyé de l'heure de cours. Alors oui, j'ai clairement pas eu le temps de faire cette putain de vaisselle, qu'elle aurai pu faire avant que j'arrive d'ailleurs, cette grognasse.

- Je comptais la faire ce midi, expliqué-je pendant que son souffle se rapproche de ma nuque.

- Mais bien sûr, lâche t-elle. Tu crois que je ne vois pas ton petit jeu en ce moment ?

Je ne sais même pas de quoi elle parle, pour être honnête.

- Mon petit jeu ? Repété-je après elle.

- Oui, ta manière de me répondre, de me regarder comme si je n'étais qu'une moins que rien, déblatère-t-elle. N'essaie pas d'inverser les rôles, espace d'ingrate.

Je souris contre mon gré et son ton monte :

- Alors dépêche-toi de faire cette putain de vaisselle ! Hurle t-elle.

J'ai beau avoir 14 ans, avoir compris que le meilleur moyen de contre-attaquer c'est de ne pas se laisser faire, mais le regard qu'elle me lance m'enlève tout courage. Je tourne alors l'eau, laissant couler l'eau tiède pour ne pas qu'elle puisse s'amuser à encore me brûler, puis rempli le bac à ma gauche. Je nettoie les premières assiettes en sentant la pression de son corps derrière moi.

Lorsque je rince la dernière fourchette et ferme le robinet, ma main plonge dans l'eau sale pour enlever la bonde qui la retient. Soudain, de grosses mains se posent sur mon crâne et m'emmène dans le bac. Surprise, je crie sous l'eau, me débattant comme je peux avec mes bras et mes jambes. J'ai peur, je suis sûre que je pleure en même temps, et le manque d'oxygène me fait paniquer.
Alors que je lutte pour ne pas me noyer, ma tête sort de l'eau une demi-seconde. Une demi-seconde grâce à laquelle je respire un grand coup. Je ne vois rien, mes yeux me piquent, et je n'ai pas le temps de comprendre la suite que mon visage y retourne. Cette fois-ci, je me débat un peu plus : avec mes mains, je choppe ses deux bras et plante mes ongles aussi fort que j'en ai l'énergie, et je suis soulagée quand je me retire de l'évier et que je l'entend se plaindre de la douleur que je viens de lui infliger. Le torchon accroché juste à côté du frigo me parvient, alors je m'essuie le visage avec et même si mes yeux me picotent toujours, je suis satisfaite de parvenir à distinguer du sang sur l'un de ses bras. Nos regards se croisent mais aucun mots n'émane de nos bouches.
Karaba la sorcière fout sa blessure sous l'eau, comme si ce que je lui avais fait été pire que ce que je venais de vivre, et je décide d'attacher mes cheveux en queue-de-cheval, pour que personne ne se doute de quoi que ce soit au collège. Bien qu'il me surnomme tous « la bizarre » à longueur de journée.
Puis enfin, je m'élance vers la porte.

-Ne raconte rien à ton père, me lance t-elle avant que je sorte.

T'inquiète pas maman, j'ai une meilleure idée que celle-là.

À la nuit tombée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant