CHAPITRE 65

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Seona

Je n'arrive toujours pas à comprendre mes émotions, à relier tout les éléments entre eux, alors que la seule réaction qui me percute depuis que je l'ai revu est la même : des pleurs.

Je n'ai même pas assez d'eau dans mon corps pour continuer à pleurer, alors je craque, mais sans larmes. C'est une sensation étrange, mais bonne en même temps. C'est un mixte entre être heureuse de le savoir toujours là, et être malheureuse de ne pas l'avoir su plus tôt.

Mon père m'a tout simplement proposé d'aller chez moi, pour discuter.
Après être restés de longues minutes sous un pauvre abri en taule, et voyant qu'il était difficile de me calmer, il m'a aidée à marcher jusqu'à sa petite voiture grise. Quand j'ai compris qu'il conduisait toujours, mon cerveau n'a fait qu'un tour, et les questions se sont mises à se déballer d'elles-mêmes. Questions auquel mon père m'a répondu par : « on en parle chez toi, ok ? ». Je n'ai pas voulu rajouter quelque chose, car je n'ai toujours pas absorbé le choc que c'est de le voir, en chair et en os, après deux ans de fausse mort. Alors depuis le début du trajet, je le regarde, l'inspecte, joue au jeu des sept différences afin de trouver ce qui a changé sur lui, pendant ces années.

Premièrement, ses cheveux sont devenus encore plus gris. Ils commençaient déjà à vieillir, avant, mais là, c'est encore pire. Sinon, sur son visage, il n'y a rien de plus ou de moins. J'ai l'impression que tout ça est irréel, mais quand je saisis sa main droite pour entrelacer mes doigts dans les siens, je réalise qu'il est bel et bien là. La seule chose qui me terrifie (et je n'aurais jamais cru pouvoir utiliser cet adjectif pour lui), c'est son regard. Je n'ai jamais vu quelqu'un avec des yeux aussi durs, froids, et glacials que les siens, mais je ne vais pas lui en tenir rigueur : le savoir vivant est la meilleure des récompenses.

Gabriel m'a tout de même envoyé un texto, histoire de ne pas m'inquiéter :

Gabriel – 16h27
Je vous ai laissés tranquille,
ne t'en fais pas pour moi.
Profite bien de lui,
je t'..

En le relisant, je continue de sourire comme une gamine.

*****

C'est étrange de le sentir derrière moi quand je marche jusqu'à mon appartement, dans ce couloir éclairé par la seule lumière présente à la sortie de l'ascenseur. Je tourne la clé, pénètre dans mon salon et accompagne mon père jusqu'à la table à manger. Il regarde les alentours, scrutes chaque recoin de la pièce et ne me remarque même pas quand je dépose un verre d'eau devant lui.
J'enlève mon sweat pour en mettre un autre qui traîne sur le canapé depuis des jours et m'installe à côté de lui, attendant qu'il me parle.

- Où est le petit ? Commence t-il par me dire.

- Le petit ? Je répète, incompréhensive.

Il marmonne :

- Celui qui était avec toi, tout à l'heure.

- Oh, Gabriel.. Je repense. Il est parti, il souhaite nous laisser tout les deux.

- C'est qui pour toi ? Me demande t-il presque immédiatement.

Cette façon d'agir me déplaît tellement fort que je ne peux pas m'empêcher de rétorquer :

- Écoute, papa. Je te croyais mort depuis deux ans, tu n'as rien fait pour me retrouver, je te vois enfin après toute cette découverte et toi, la seule chose à laquelle tu pense, c'est à Gabriel ?

- Tu ne comprends pas, je..

- Non, je ne comprends pas ! Le coupé-je, agacée. Met-toi à ma place rien que deux petites secondes, et imagine l'état dans lequel je suis. J'ai besoin d'explications.

Ses sourcils arqués m'indiquent sa surprise, tandis qu'il porte le verre à sa bouche pour engloutir la moitié du liquide transparent qui flottait à l'intérieur. Son ton s'adoucit :

- Je sais, mais, il faut que Gabriel soit là pour que je t'explique tout.

C'est si difficile que ça, de juste, par exemple, me rassurer ?

Je me lève brutalement, et tape dans ma chaise avec mon pied pour tambouriner mes poings contre mon crâne. Putain, je vais devenir encore plus folle que le jour où j'ai su qu'il était vivant !

- Il ne viendra pas ! Je hurle. Tu sais qui il est, au moins ?

Son regard ne s'abat pas sur moi, mais sur le bouquet de fleurs qui commence à faner, dans un vase trônant au centre de la table.

- Vous sortez ensemble ? M'interroge t-il.

Je vais devenir folle de rage, ouais !

- Putain ! Crié-je. Fait pas l'ignorant, il te l'a dit à l'hôpital, la dernière fois !

- Donc tu sors avec ce garçon, marmonne t-il avant de finir son verre.

Je ne comprend pas son délire de parler de Gabriel avec tout ce qu'il a fait, pendant ces années.

- Pourquoi tu as absolument besoin qu'il soit là ? Dis-je, après m'être assise sur le canapé en faisant tomber mes bras.

- Parce que je dois m'excuser, explique t-il comme si c'était logique.

*****

Maintenant que j'ai appelé Gabriel, reste plus qu'à savoir s'il va venir.

Il était catégorique au téléphone, mais je pense avoir réussie à l'amadouer : sa présence me vaudra une rencontre avec sa petite sœur. J'aurais dit « oui » à tout ce qu'il m'aurait proposé en échange, de toute façon.

J'ai besoin de tout savoir, et vite.

Mon père est resté silencieux, à examiner son chapeau de paille qu'il doit bien connaître par coeur, tandis que moi, j'ai piqué une cigarette dans un paquet de clopes que Gabriel a laissé à l'appartement la dernière fois pour, je cite, « avoir une raison de revenir ».
J'ai beau tousser à chaque bouffée d'air chaud que je respire, le bien que ça me fait m'empêche de m'arrêter. Quand je scrutes mon père à travers la vitre, je croise parfois ses yeux qui semblent désolés de me faire attendre. Je n'ai même pas honte de fumer à côté de lui, pourtant, c'est quelque chose qui l'aurait fait réagir à l'époque.

Comme quoi, tout a changé.

Et j'espère que ma patience aboutira sur quelque chose de vraiment pertinent.

Soudain, en entendant les « toc-toc », je sais déjà que c'est Gabriel qui se trouve derrière la porte. J'écrase ma cigarette par terre avec mon pied, referme la baie vitrée en rentrant et cours à la porte d'entrée pour le voir, rouge de gêne.

- Viens, lui ordonné-je en lui prenant la main.

Il me suit à contre-coeur, je le vois bien, et nous sommes tous les deux surpris de voir mon père se lever afin de lui tendre sa main. Gabriel la fixe, replace ses yeux dans ceux de mon père, puis refixe sa main. Mais mon père n'a pas a obligé sa victime à accepter ses excuses, alors je me place entre les deux, puis déclare :

- Maintenant qu'il est là, tu vas tout nous expliquer.

À la nuit tombée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant