CHAPITRE 35

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Gabriel

- Ça va ? La questionné-je pendant qu'elle a les yeux rivés sur mon téléphone.

Elle ne m'entends pas tout de suite.

- Seona ?

- Oui, reprend t-elle ses esprits. Désolé, je cherches une musique mais je la trouve pas.

Quasiment instantanément, la musique change.

Sur l'écran est affiché « Creep » de Radiohead.

J'écoute attentivement les paroles :

« When you were here before,

Quand tu étais ici autrefois

Couldn't look you in the eye

Je ne pouvais pas te regarder dans les yeux

You're just like an angel

Tu as l'air d'un ange

Your skin makes me cry

Ta peau me fait pleurer

You float like a feather

Tu flottes comme une plume,

In a beautiful world

Dans un monde merveilleux »

- C'était la chanson préférée de mon père, explique t-elle avec tristesse.

Je continue de m'imprégner les paroles, quand nous arrivons enfin au lieu de ma surprise.

Je me gare sur le parking, et Seona fixe à travers la fenêtre. Je suis sûr qu'elle a compris où nous étions : sur la pancarte est écrit «  Agence de vols touristiques en montgolfière ».

Son visage se retourne vers moi, mais son regard semble vide.

Ce n'est pas vraiment la réaction escomptée..
- Tu sais, lâche t-elle. Hier, j'ai revu ma mère.

Et elle ne me l'a pas dit ?

- Quand ? Où ça ? Pourquoi ?

- Ça t'intéresse tiens, fait-elle remarquer.

- Bah oui, c'est normal non ?

Elle réfléchit à ce qu'elle va dire. Je le vois.

- Figure-toi qu'elle m'a retrouvé, se marre t-elle. Pas si compliqué, tu me diras. Mais elle m'attendait dans l'appart' quand je suis rentré du travail hier midi.

- Dans l'appart' ? Je m'inquiètes.

- Oui. Elle m'a fait du mal, encore. Mais j'avais pris un couteau en la voyant, donc je l'ai menacé.

Wow.

- Bref. Figure-toi qu'elle m'a dis quelque chose avant de partir, révèle t-elle. Elle m'a dis « fais attention à ton Gabriel ».

Je peine à déglutir.

- Au début, j'ai pensé qu'elle disait ça pour me faire peur, avoue t-elle, les doigts crispés empoignant son siège. Mais je me suis rappelée que je n'avais mentionnée ton prénom à aucun moment.

Qu'est ce que je vais lui dire ?

Mon silence nous empêche de respirer correctement.

Elle observe mes réactions avec attention, fixant mes yeux qui font briller les siens.

- Pourquoi elle connaissait ton putain de prénom ?!

Sa question me touche encore, et sa phrase ressemblait plus à une gifle qu'à une interrogation.

- Mais j'en sais rien moi ! Finis-je par lui mentir. Elle t'a peut-être entendu dire mon prénom le soir où nous étions au bar !

Je ne cherche même pas à lui raconter n'importe quoi, car honnêtement, je ne savais pas vraiment qu'elle connaissait mon prénom.

Brusquement, elle arrache mon téléphone du fil qui le relié à la voiture.

- Tu m'expliques, alors ?

Elle me tends mon portable, et je lis le message qui apparaît tant bien que mal :

Mélina 11h56 -

Marie est directrice de l'agence d'intérim

en centre-ville. Tu pourrai aller la coincer

là-bas.

Je suis dans la merde.

Je relève les yeux vers elle.

- Je n'ai rien à te dire.

- Rien à me dire ? S'étonne t-elle. Ta sœur te parle de MA mère mais t'as rien à me dire ?

Je secoue la tête, verrouillant mon téléphone pour le foutre dans la poche de mon jogging.

- Je ne peux pas te le dire, rectifié-je.

- Mais pourquoi ? S'agace t-elle. Tu va tout m'expliquer, Gabriel !

Je ne réussi pas à parler. C'est comme si les mots voulaient tous sortir mais que quelque chose leur en empêchait.

Seona se met alors à pleurer, puis sort de la voiture. Je la regarde dans le rétroviseur s'appuyer de dos contre la portière arrière, juste derrière la porte passager.

Je ne voulais pas lui faire de mal, mais je ne peux rien lui raconter. Ce que nous avons prévu avec ma sœur pourrait tout remettre en cause, ou même juste simplement tomber à l'eau. Quant à Seona, si je lui raconte toute la vérité, je ne suis pas sûre qu'elle accepterai de m'avoir encore dans sa vie.

Je suis le pire des salauds. Je ne mérite que ça. La perdre.

Malgré tout, je sors de la voiture à mon tour pour m'installer à côté d'elle. Je l'entends renifler, la tête dans ses petites mains manucurées en noir, et je me demande si je devrais pas la prendre dans mes bras. Au lieu de ça, je pose ma main sur une des siennes et du bout du pouce, je la caresse.

Ça me rappelle nos débuts.

D'un revers, elle m'ôte de sa peau.

Je croise alors les bras, attendant que l'orage passe.

Un semblant de pluie vient accompagner ses pleurs, commençant à nous humidifier la peau.

- Rentrons dans ta voiture, sanglote t-elle. Ta prothèse.

Je m'exécute aussitôt, et je suis soulagé de la voir me rejoindre.

Après quelques minutes à scruter l'horizon par le pare-brise, je l'entends soupirer :

- Emmène-moi sur la tombe de mon père.

À la nuit tombée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant