CHAPITRE 36

426 24 12
                                    

Seona

Je n'en ai plus rien à foutre de lui.

Il me cache quelque chose, il ne veut rien me dire, et moi je suis censée faire quoi ? Faire comme si de rien n'était ?

Je crois que le moment où j'ai eu le plus mal au cœur, c'est quand il m'a lâché « je n'ai rien à te dire ». C'est à cet instant précis que j'ai compris. Qu'il avait un lien avec ma mère, qu'il manigançait je-ne-sais-quoi dans mon dos, probablement à cause de tout ce que je lui ai raconté.

A t-il pensé aux répercutions ? Aux conséquences des actes qu'il va commettre ?

Le pire, c'est qu'il engrène sa sœur dans toutes ces histoires.

Je ne veux pas qu'il essaye de me sauver.

J'y arrives bien toute seule.

En fait, je n'arrive même pas à deviner ce qu'il prépare. Les seules choses que j'ai compris, c'est que lui et Mélina veulent coincer ma mère. Pourquoi ? Pour lui faire quoi ? Pour lui dire quoi ?

Je n'ai aucune réponse. Et ce n'est pas Gabriel qui va me les donner. Je l'ai saisi bien trop vite.

C'est pour cette raison qu'il roule sur cette autoroute sans prononcer quoi que ce soit. Quitte à le dégager de ma vie, autant que les kilomètres parcourut servent à quelque chose.

Je préfère en rester là avec lui.

Je ne vais sûrement pas lui courir après, et je n'ai même pas envie d'avoir d'explication concernant le message sur ma mère.
Je pense au fond de moi qu'il veut m'aider.

Mais Gabriel, avec ce que tu es en train de faire, tu ne m'aides pas. Tu m'enterres.

Je lui ai mis l'adresse du cimetière sur son GPS. Il ne nous reste plus que cinq petites minutes avant d'arriver.

Je commence à stresser. Déjà par le simple fait d'avoir vu ce message. Mais là encore plus.

Les larmes que j'essuie de mes joues depuis tout le long du trajet reviennent de plus belles, un peu plus intensément. Oui, je suis triste. Oui, je me sens mal. Oui, j'ai peur. Mais non, je ne vais pas lui montrer.

Retour à la case départ.

La voiture se gare enfin en face du portail menant au cimetière. Mes mains deviennent moites, ma tension monte, et je pleure tellement que je vois flou. Mais je ne dis rien, et il ne me dis rien non plus. Il avait les yeux rivés sur la route tout le long, sans jamais m'observer. Pourtant, c'est lui qui me met dans cet état.
Où est-il passé ?

Je claque la porte violemment sans prêter attention à lui. Mon cœur s'essouffle en ouvrant la barrière.
Je ne sais même pas où mon père repose.

Pour être honnête, je ne suis jamais allée le voir. Je ne suis même pas venue à l'enterrement, qui pour moi n'en était même pas un.

C'est simple : il est mort dans un accident de voiture, celle-ci a pris feu alors qu'il avait foncé dans un arbre, après avoir accéléré comme un malade sur une route limité à 50 km/h.

D'après les pompiers et les flics, il s'est suicidé avec cet acte, et son corps a été réduit en cendres dans les flammes. Alors, son enterrement, ce n'était qu'une cérémonie stupide relatant sa vie.

Ironiquement, ça n'a parlé que de sa magnifique femme et sa fille aimante.

Je n'y suis pas allée, mais c'est ma mère qui l'a organisée, alors j'imagine qu'elle s'est fait passée pour la parfaite veuve attristée. Alors que clairement, pour moi, c'est elle qui l'a tué.
Elle a préparer tout un cinéma : une tombe, une cérémonie, des discours, des pétales de fleurs à déposer dans son cercueil.
Alors qu'il ne repose même pas dedans.

Adam a essayé de me raconter comment c'était, mais je n'ai jamais rien voulu savoir. À part ce que je me remémore maintenant.

En déambulant dans les allées, je passe devant les tombes. Je me dis que ces gens reposent vraiment quelque part. J'en suis peiné pour mon pauvre papa.

Sur l'une d'entre elles, seulement une ne possède quasiment rien dessus.

Benjamin Elvernad

-

2000– 2022

Ce pauvre homme est décédé à l'âge de 22 ans. Mon âge.

Qu'a t-il fait pour que personne ne vienne sur sa tombe ? J'aimerai comprendre pourquoi seulement un bouquet de fleur trône en plein milieu de ce marbre gris.

«  Ta maman qui t'aime », est inscrit en bas du bouquet en italique.

Il a au moins eu la chance d'être aimé par sa mère. Le pauvre.

Mes yeux divaguent plus loin, et je m'arrête.

Il est là.

Édouard Mariolli

-

1973 - 2021

Deux années que mon père est décédé, mais sur sa pierre tombale, il ne reste pas un seul endroit non-recouvert. Des pots de fleurs, des plaques funéraires, des cadres photos de lui, des lanternes..

Je suis époustouflée. Je n'aurai jamais cru penser ça, mais elle est magnifique. Et je remercie ceux qui s'y rendent souvent pour l'habiller.
D'après ce que j'arrive à lire sur les plaques, des collègues, des amis ou encore des neveux sont passés par là. Que des gens qui détestent ma mère et qui ne sont jamais venus chez nous dans le vivant de mon père : on se demande pourquoi.

Voir son visage sur ces photos me percutent en plein fouet dans la face. Il était beau. Sur celle que je fixe, il était sur la plage, le coucher de soleil derrière lui. Ses yeux bruns et ses cheveux mi-longs s'arrêtait derrière sa nuque. Il arborait un sourire des plus scintillants. Ses yeux brillent contre les miens et, un frisson me parcoure pile à ce moment.

Je décide de m'asseoir sur la tombe, en décalant précieusement un bouquet pour ne pas l'abîmer.

Ma main se pose systématiquement dessus, et je pense fort. Je n'arrives même pas à savoir à quoi je pense, mais je donne tout ce que je peux pour lui transmettre mes émotions par télépathie.
Seona. Il n'est même pas là..

Je n'étais jamais venue, et je regrettes maintenant.
En fin de compte, je crois que j'aime la sensation de me dire qu'il peut être ici.

Après trois bonnes minutes, j'entends derrière moi des bruits de pas. Je me retourne, et voit au loin que Gabriel m'a suivi. Je ne le contemple même pas et reviens à mon père, ou plutôt à sa tombe.

Soudain, je reste muette. Je perçois des pleurs.

Gabriel pleure.

Je ne peux pas m'empêcher de le scruter, ayant du mal à comprendre sa réaction.

Il cache sa tête dans ses bras, et s'essuie ses larmes avec son poignet. Il ne fait aucun bruit, mais ses reniflements sourds me percutent.
Il me brise le cœur.

Le voir sangloter ressemble à un couteau dans le ventre.

Je me contiens autant que je peux pour ne pas le rejoindre, quand quelque chose sur le rebord de la tombe, presque enterré, attire mes yeux.

Une gourmette avec mes initiales.

Celle que mon père portait sur son poignet tout les jours.

À la nuit tombée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant