CHAPITRE 75

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Seona

Quand la police m'a appelé, la personne au téléphone ne m'a réellement pas donné plus d'explications que ça. J'ai seulement entendu que je devais venir pour témoigner, et qu'il fallait que je vienne seule.
Malheureusement, Gabriel n'a pas été de cet avis. Et même si on pense tout les deux que ma mère l'a dénoncé, je ne préfère pas qu'il rentre avec moi dans l'enceinte du bâtiment.

- Tu m'attends là, je lui conjure en détachant ma ceinture.

- Tu m'envoies un message quand tu va sortir, ok ?

Son regard inquiétant me menacerait presque, mais c'est surtout de la peur que je vois à l'intérieur. Ils brillent tellement que j'ai l'impression de m'y voir en reflet.

- Promis, je l'embrasse sur la joue.

En sortant, l'air est aussi palpable et incertain que moi à ce moment précis. Partagé entre le froid, le vent, et la chaleur, voilà un parfait mélange d'un doute qui plane au dessus de nos têtes. Ou surtout de la sienne.

Le bâtiment de police est assez petit, mais étant donné qu'il fait déjà presque nuit vu qu'il n'est pas loin de 21h30, je remarque moins la couleur et la texture des murs externes du bâtiment. Tout ce que je vois, c'est une vitre en guise de porte, et un petit panneau jaune moutarde « poussez » à côté de la poignée.
La dernière fois que je me suis rendu ici, c'était il y a des lustres..
Et ma plainte n'avait pas été acceptée.

- Bonsoir, m'accueille une femme blonde à lunettes derrière son bureau.

Il y a une grande plaque de plexiglass qui nous sépare, alors je comprends que je vais devoir parler plus fort pour me faire entendre.

- Bonsoir, je me présente. On m'a appelé il y a une trentaine de minutes pour que je témoigne.

Elle farfouille quelque chose sur son ordinateur, toujours le sourire au lèvres, puis annonce :

- Mademoiselle Mariolli, c'est ça ?

J'acquiesce avec ma tête puis elle appelle immédiatement quelqu'un avec le téléphone noir relié sur son bureau. L'appel dure quelques secondes après un « ok » de sa part, et ensuite, elle m'invite à rejoindre une salle.

- C'est tout droit en suivant le chemin, et ce sera la première porte à votre droite, m'indique t-elle en se levant pour que je la vois mieux effectuer ses gestes.

Je me dirige un pas après l'autre dans le couloir vide et gris après l'avoir remercié, puis trouve une première porte effectivement, à ma droite. Je vois que le reste du passage est comblé d'autres accès, mais je toque à celle que l'on m'a prescrit.

- Entrez ! J'entends une voix féminine hurler de l'autre côté.

Je pénètre étrangement sans trop de craintes dans cette pièce et y trouve une femme, en habit d'agent de police bleu marine très foncé, zieutant sur son ordinateur quelque chose.
La salle est bondée de dessins d'enfants, d'affiches sur le harcèlement, le viol, et...
La violence conjugale.

- Asseyez-vous, je vous en pris, dit-elle en me pointant de la main un des sièges face à son meuble noir.

Elle pianote sur son clavier je-ne-sais-quoi, puis après un rapide état des lieux, je préviens :

- Écoutez, on ne m'a pas expliqué pourquoi je devais venir. Il est bientôt 22h et je bosse demain. Si on pouvait faire vite..

En vérité, si je dis ça c'est parce que j'ai peur, et que j'ai besoin qu'on me dise immédiatement la raison de ma convocation. Surtout si c'est pour me demander ce que faisait Gabriel le jour de notre cambriolage.
Mes mains tremblent, ma vision semble se rétrécir et ma voix est presque inaudible. Je hais ce genre de situation, surtout quand on me fait patienter en arborant un grand sourire sur son visage.

- Ne vous inquiétez pas, mademoiselle, elle tente de me rassurer. Je peux vous appeler par votre prénom ?

Pourquoi faire ?

- Non, désolé, je crache sans méchanceté apparente.

- Pas de problèmes, elle retire enfin ses mains de son clavier.

Elle me sourit encore, et bien sûr comme tout les flics, je m'attends au baratin habituel. Un blabla avant des explications.

- Nous avons reçu une plainte aujourd'hui.

Et bah voilà, on y est.
Elle reprend :

- Une plainte de votre père. Monsieur Mariolli Édouard.

Quoi ?
Mes bras m'en tombent presque, ma bouche est sur le point de fondre sur le sol et mon corps s'est soudainement arrêté de trembler pour s'arrêter de respirer.

- Il nous a tout expliqué, tente t-elle de canaliser mes yeux qui viennent de s'embuer de larmes. Son accident, sa disparition.. Mais ce n'est pas le sujet principal de notre rencontre, vous vous doutez bien.

J'ai très bien compris.

- Une plainte pour quoi ? J'articule seulement.

Elle hésite à moitié avant d'avouer :

- Pour violence conjugale et maltraitance sur enfant.

Ses mots sont si forts, si puissants dans la bouche de cette femme aux cheveux châtains et ondulés, que mon esprit se brouille. Ses mots qui sont restés si longtemps dans nos vies, dans nos coeurs et dans nos tripes, enfin re-sortis par les forces de l'ordre. Les forces de l'ordre qui ne m'ont pas cru, des années plus tôt.

Après un bref échange de regard, je lâche honteusement :

- J'étais venue porter plainte, il y a quelques années.

- Pour cette raison ? Elle me demande.

- Exactement.

- Je ne vois rien sur votre dossier, fronce t-elle les sourcils en regardant à nouveau dans son ordinateur. C'était il y a longtemps ?

- J'avais 14 ans, je rétorque du tac au tac.

- Il y a un moment, donc.

Ma jambe s'agite comme si elle recevait des coups de jus. Cet endroit m'angoisse et me rappelle qu'il a fallu autant d'années pour être entendue. Tant d'années pour être crue.
Par la bouche d'un adulte.

- J'étais venue, commencé-je à citer. Ma mère venait de tenter de me noyer dans de l'eau pleine de savon. Quelques temps auparavant, et je l'avais montré à votre collègue, elle m'a donnée une brûlure qu'elle m'avait fait sur le bras avec une bouilloire. Un autre jour, elle m'a enfermée dans la salle de bain toute une journée en me laissant dans la baignoire avec presque 10 gels douches et shampooing différents et entiers sur les cheveux, en m'interdisant évidemment de me rincer. Elle m'a beaucoup torturée psychologiquement, m'a toujours répétée que je n'étais qu'une ingrate, une petite conne, enfin, toutes les insultes possibles. Sois-disant que tout était de ma faute, rien n'était jamais assez bien. À cause d'elle, j'ai très longtemps eu peur de me laver sous son toit, alors je me faisais ma toilette en douce dans la cuisine. Elle frappait mon père, et je l'ai découvert le soir où la police m'a appelée pour me dire que ma plainte n'avait pas été retenue. Elle croyait que c'était lui qui s'était rendu ici, alors que c'était moi. Elle l'a tapé à ma place, et depuis ce jour, elle ne s'est pas caché de sa maltraitance sur lui devant moi.

J'ai débité tout ça avec tellement de rapidité et de spontanéité que la femme ne m'a pas lâché des yeux, les pupilles horrifiées par ce qu'elle vient d'entendre. Je ravale mes larmes car je refuse de pleurer pour cette... mère.

- Elle ne s'en ai pas caché car elle savait que personne ne nous croyait, je crache.

L'agent ne sait pas quoi contre-attaquer, je le vois dans sa manière de réfléchir à ses mots. Mais elle craque :

- Maintenant, si.

- Que risque mon père ? Je l'interroge soudainement.

- Beaucoup.

Il a donc risqué sa vie pour moi. En faisant ce que je lui ai demandé dans cette putain de lettre.

- Et elle ? Je rétorque.

Je n'ai aucunement besoin de préciser à qui je fais référence, puisque la femme derrière ce bureau m'a très bien comprise.

- Beaucoup plus.

Et c'est tout ce que je voulais entendre.

À la nuit tombée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant