CHAPITRE 18

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Gabriel

Le ciel est noir, ce soir. Pas d'étoiles, pas d'avions scintillants dans les airs, rien. Juste du noir. Je m'autorise à fumer une cigarette pendant le trajet. Je n'arriverai à ma voiture que d'ici 15 minutes, alors j'ai largement le temps.

Dans ce quartier, il n'y a jamais personne à cette heure. Pourtant, nous sommes dans la nuit de vendredi soir, il est 00h30, et dans d'autres coins de la ville, en cette fin de mois de juin, les restaurants et les bars sont bondés. Ma sœur ne semblait pas vouloir que je m'en aille, alors j'ai seulement attendu qu'elle s'endorme pour m'en aller. Je me retrouve maintenant à griller ma clope lentement, me concentrant sur chaque bouffée de chaleur que je respire. C'est si bon d'avoir mal.

J'ai beau penser à pleins de choses, le nom qui me revient en tête est toujours le même depuis plusieurs jours : Seona. J'ignore comment ce nom si familier a pu changer toute perception. Elle est ancrée dans mon putain de crâne depuis si longtemps, et maintenant tout est dans le mauvais sens. Ou alors, était-ce avant que je la connaisse vraiment ?

Au loin, je peux apercevoir un arrêt de bus éclairé par les phares des voitures qui passent à tout allure à côté de moi.

Je m'installe tranquillement sur le banc et sort mon carnet de ma poche. La nuit est si froide qu'elle me donne envie de la dessiner. J'observe les alentours, quand mon téléphone vibre dans ma poche. Surpris de voir apparaître le prénom de ma meilleure amie, je décroche sans tarder :

- Allô ?

- Gabriel ? Entends-je à l'autre bout du fil.

- Oui ?

Le brouhaha derrière Leslie m'indique qu'elle se trouve à une soirée, comme tout les vendredis.

- Je crois qu'il faut que tu vienne chercher Seona.

Ai-je bien entendu ?

- Seona ? Récité-je, soudain intéressé par cette discussion.

- Oui, bah attends, s'arrête t-elle, elle est là.

Le téléphone grésille un peu, faisant mal à mes tympans. Sa voix résonne alors dans l'appareil et mes sentiments s'enflamment :

- Oh Gabriel, mon beau Gabriel, pourquoi tu n'es pas venu ? Cette boîte est in-cro-yable, jure t-elle en riant.

- Seona, ça va ? M'inquiète-je.

- Mais tout va parfaitement bien, Gabriel aux yeux caramel.

Elle semble boire une gorgée, puis reprend où elle en était :

- Si tu savais comme je meurs d'envie de t'embrasser. Goûter à tes lèvres ou.. non ! Toucher la peau de ton dos. Je suis sûre qu'elle est douce.

- Tu dérailles complètement, lancé-je. Tu es où ?

- Là ? Dans la meilleure boîte que j'ai jamais connue de toute ma vie.

J'allais répliquer mais le bruit de la fin de notre conversation vient de se faire entendre : elle a raccroché.

Ma voiture est trop loin de moi, garé sur un parking plus bas, et quand je vois la navette arriver, je décide de la prendre. Elle m'emmènera en ville beaucoup plus vite, tant pis pour ma Peugeot. Je vais me rendre dans la seule boîte que Leslie fréquente : le Club.

*****

J'arrive devant la boîte, habillé en survêtement bleu marine. Le videur me regarde à deux reprises, pas certain de me laisser rentrer. Je ne m'arrête même pas et pénètre sans problème. Je n'imagine même pas le nombre de mecs en manque qui ont réussi à passer de la même façon que moi, et mes poils s'hérissent. J'espère que Seona est bien resté aux bras de Leslie, à qui je vais toucher deux mots quand j'aurai réglé cette affaire.

Dans le Club, la piste de danse est au complet. La musique claque dans les oreilles et suit les battements de mon cœur quand je la vois, parmi les autres sur le dancefloor. Elle danse comme la dernière fois sur la plage : les cheveux lâchés, les yeux fermés, les bras en l'air. Je ne prend pas le temps de la contempler puisque quelqu'un me bouscule :

- Gab', me tient Leslie. Elle n'arrête pas de boire.

Nos yeux s'arrêtent sur elle, si belle et enivrante.

- Pourquoi tu ne l'a pas arrêté ? Crié-je dans l'espoir qu'elle m'entende par dessus la musique.

- Je ne pouvais pas, dit-elle simplement.

Comme si on ne pouvait pas juste la sortir d'ici, calmement..

Mes pieds s'avancent jusqu'à elle, puis ma main emprisonne son poignet. Étonnamment, elle n'a pas eu peur. Je met ça sur le coup de l'alcool, puis la tire jusqu'à moi. Elle enferme ses bras autour de moi et commence à poser sa tête sur mon torse. Je manque de respirer tellement notre proximité me déstabilise, puis revient à la réalité :

- Viens avec moi, hurlé-je contre son oreille.

D'une manière sensuelle, elle prend ma main et m'attire à l'extérieur. Une fois dehors, je la maintiens :

- On y va.

Ses yeux marrons sont si envoûtants que j'en perds mes mots. Je reste scotché par sa beauté : cette couleur lui va tellement bien. Sans le savoir, nos habits sont accordés. Elle est magnifique. Sa poitrine relevée, ses jambes apparentes et ses pieds dans ces talons me font tourner la tête. Malheureusement ou heureusement, quelque chose m'intrigue du coin de l'œil, m'obligeant à tourner la tête.

Elle est là, cette femme au regard machiavélique, en train de scruter Seona comme si c'était une bête de foire.

- On y va j'ai dis, récité-je encore plus fort.

Son regard s'éclaircit.

- J'adore quand tu me donne des ordres, commente t-elle.

En temps normal, j'aurais ris. Mais là, cette situation ne me plaît pas du tout. Et la façon dont sa mère nous observe me rend mal à l'aise. Il faut qu'on parte d'ici.

- Viens putain, dis-je, irrité.

Elle lève les mains comme si j'étais un flic qui venait de l'arrêter, puis finit par me suivre jusqu'à un bout de trottoir.
J'ai commandé un Uber dans le bus tout à l'heure et j'ai abandonné ma voiture chez mes parents, alors elle a intérêt à monter dedans.

- Monte, insisté-je devant la voiture noire du chauffeur.

Elle s'exécute sans rien dire et grimpe à l'intérieur. L'homme démarre puis s'éloigne de la foule. Et de sa connasse de génitrice.

Dans l'habitacle, la tension est palpable. Les doigts de Seona s'immisce un peu trop sur ma cuisse, provoquant en moi des frissons dans tout mon corps. Son regard s'intensifie à force qu'elle me fixe. Là, j'ai envie de lui sauter dessus, de l'embrasser tellement fort que j'en oublierai mes démons, mais je ne fais rien. Je ne dois pas.

Je me contente d'attendre qu'on arrive à l'appartement.

*****

Je récupère Seona dans mes bras, puis remercie le chauffeur. Elle s'est endormi en même pas 2 minutes, et je n'aurai jamais cru qu'elle serai aussi légère. Je prend l'ascenseur, appuie sur le chiffre numéro quatre et attends. Elle pose sa tête contre le creux de mon cou et ce geste rempli mon cœur de plaisir. Elle semble si paisible et reposée. Pourquoi je n'arrive pas à en faire autant ?

Je fais de mon possible pour ne pas réveiller Adam qui doit être en train de dormir, puis après avoir fermé à clé la porte derrière moi, je dépose Seona dans mon lit. Elle pue l'alcool, et son maquillage est déjà étalé sur son visage. Elle recouvre son corps de ma couette, aussi marron que ses yeux, puis les garde fermés. Je sors doucement de la chambre pour aller chercher une bassine et un médicament, consulte son planning pour connaître ses horaires : elle en repos demain. Puis je reviens en douce. Je dépose tout ça à côté d'elle, puis éteint toutes les lumières. J'allume le flash de mon téléphone pour y voir quelque chose jusqu'à la porte, quand sa petite voix mielleuse m'interrompt :

- Reste, murmure t-elle.

J'aimerai tellement lui obéir, mais je ne peux pas. Un jour, elle comprendra.
Alors je ferme la porte, faisant mine de ne pas avoir entendu.

C'est plus facile d'être un connard que de lui avouer la vérité.

À la nuit tombée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant