Gabriel
Assis tout les deux, main dans la main sous la table devant l'expression désolée de son père, nous attendons ses explications de pieds ferme :
- Bon, je vais simplement vous demander de me laisser parler, et de ne pas me couper la parole. C'est OK pour vous ?
Nous hochons la tête, et il commence son récit :
- Alors voilà. Le soir de ma « mort », fait-il les guillemets avec ses doigts, ça ne s'est pas passé comme je le pensais.
Il prend une grande inspiration en regardant sa fille, puis déballe :
- Ce soir-là, oui, j'ai bu. Mais pas au point de ne pas savoir ce que je faisais. À la base, je voulais faire croire à ta mère que j'étais bourré. Puis, quand elle a commencé à me parler de toi, je me suis énervé. La suite, tu la connais. On s'est criés dessus, tu es intervenue, je me suis interposé entre vous deux, puis elle m'a giflé. J'ai pris le coup comme un signe du destin, il fallait que je m'en aille à ce moment là.
Foutus signes du destin..
- Alors je suis parti. J'ai roulé pendant des kilomètres à n'en plus finir, parce que je voulais être loin de tout ça, loin d'elle. Mais il y avait des choses que j'avais prévu.
Ses yeux deviennent un peu plus vivaces maintenant.
- Ça faisait des mois que je voulais me faire passer pour mort, aux yeux de ta mère, précise t-il. Alors j'avais pensé à toutes les solutions possibles pour le faire, et j'ai choisi la pire, malheureusement.
Son regard s'est attardé sur moi une micro-seconde.
- J'étais sur une petite route, il faisait nuit, il n'y avait pas un chat, alors j'ai mis mon pied sur l'accélérateur et j'ai voulu foncé droit dans un arbre. Malheureusement, la chance n'était pas avec moi et un peu rapidement, j'ai aperçu dans mes phares un sanglier. J'ai tenté de l'esquiver, et puis, plus rien..
Il respire un peu plus fort.
- Quand je me suis réveillé, j'ai senti en premier une grosse odeur de fumée. Puis quand j'ai compris que ma voiture était en train de prendre feu, j'ai sauté hors d'elle avec toute la force qui me restait. Dès que j'étais sur la route, j'ai vu mon véhicule s'enflammer sous mes yeux. Et même si mon coude était en sang et que le côté de mon corps me faisait un mal de chien, j'ai marché en direction du premier hôtel que je trouvais en passant derrière les buissons.
Je suis sous le choc, et je crois que sa fille aussi.
- J'ai pris une chambre pour la nuit avec du liquide que j'avais gardé dans mes poches, où j'ai réservé sous un autre nom, et où je n'ai d'ailleurs pas dormi de la nuit. J'étais pleins de remords, pour toi, et même pour ta mère.
S'en ai un peu trop pour moi, alors je décide de sortir dehors et de fumer une cigarette, en laissant la baie vitrée entre-ouverte pour pouvoir les écouter. Pendant que je l'allume, j'ai les yeux embués de larmes, mais rien ne coule.
Du coin de l'œil, je les vois me regarder, et Seona effectue un mouvement avec sa main comme pour lui dire « c'est bon, continue ».
Il acquiesce :
- Et puis, là, j'étais bloqué. Je ne savais même pas quoi faire.. Donc j'ai cru que ce serait le bon moment pour moi de disparaître. Alors le lendemain, j'ai déserté. J'ai fais du stop sur les routes, on m'a emmené de villes en villes jusqu'à arriver à Couzeix, une petite ville situé près de Limoges. J'ai dormi dans la rue les premières semaines, je ruminais par rapport à ma petite fille que j'avais abandonné.. Puis un jour, alors que je squattais l'entrée du Casino de la ville, le directeur du magasin m'a réveillé un matin en me proposant un job en tant que vendeur. J'ai tout de suite était pris quand il a vu comment je me débrouillais alors que je prétendais n'avoir aucune expérience dans le domaine, et comme je n'avais plus de papier sur moi, tout était plus simple : je me suis fait passer pour quelqu'un d'autre. J'ai même dû me créer une carte d'identité là bas, un nouveau compte en banque.. Enfin bref, tout pour repartir à zéro. J'ai pu ensuite me prendre un appartement pas très loin, et continuer ma nouvelle vie.
À travers la fenêtre, je remarque que Seona est tellement obnubilée par son père qu'elle s'est avachie sur la surface pour déposer sa tête, comme si il lui racontait une histoire.
Elle est trop mignonne.
- Mais j'avais beaucoup trop de remords, beaucoup trop de regrets, beaucoup trop de questions dans ma tête, beaucoup trop problèmes. Tu me manquais, dit-il en prenant la main de sa fille. Tout me manquait, cette ville, toi, mon océan, notre boutique, ma vraie vie.
Il soupire.
- Donc tu es revenu, lâche Seona, me faisant tourner la tête vers eux plus clairement.
- Exactement, souffle t-il. J'ai mis du temps, mais au début de l'année, je suis revenu. J'ai pu m'acheter une nouvelle voiture, me prendre un appart', et je suis retourné à mes sources. J'avais besoin de retrouver ma fille, mais sans que sa mère ne le sache. Je savais que je ne pouvais pas débarquer comme ça, alors qu'aux yeux de tous j'étais mort, ou du moins, c'est ce que j'espérais que vous pensiez. Alors j'ai eu l'idée de t'envoyer des lettres.
J'écrase ma clope, et reviens à côté d'eux.
- Je t'ai écrit, en me faisant passer pour Adam. Bien sûr, il fallait que je signe à la place de quelqu'un d'autre, mais vu que c'est la seule personne proche de toi, je savais que quand ta mère tomberait sur ses lettres, elle te les donnerai. Puis j'ai lâché quelques indices dedans, des petites énigmes que je savais que tu éluciderai. Et ensuite, j'ai recherché dans les journaux la date de mon accident, et j'ai vu qu'il y avait un acte de décès à mon nom. J'ai été au cimetière indiqué sur le papier et j'ai trouvé ma tombe. Et ça m'a fait bizarre.
Il rigolerait presque, alors que nous, il nous tient en haleine.
- J'ai déposé ma gourmette derrière des fleurs, et j'ai espéré très fort que tu tombe dessus.
Il sourit.
- Et puis, tu m'as retrouvé. Je ne sais même pas comment, mais tu m'as retrouvé quand même. Alors merci d'être venue jusqu'à moi, et désolé pour ces années de souffrance. Tu ne peux pas savoir à quel point je m'en veux, à quel point tu compte pour moi. Ma puce, j'espère que tu me pardonneras un jour, craque t-il en prenant ses deux mains.
Soudain, la voix calme et tempérée de Seona résonne dans nos oreilles :
- Je ne peux rien te promettre, mais juste, il y a des choses qu'il faut que je te demande, car je ne les comprends pas.
- Dis-moi tout, susurre t-il.
Je lui serre la cuisse doucement, avant qu'elle parle :
- Je ne comprends pas pourquoi tu n'es pas simplement parti de chez maman, pourquoi tu ne m'as pas emmené avec toi, et.. Elle débite : Comment tu as su que Gabriel était ta victime ? Comment cela se fait-il que tu sois venu à l'hôpital quand j'y étais ? Comment tu as pu savoir que je ne m'étais pas rendue à ton enterrement ? Comment, papa ?
Il se redresse, comme s'il n'était pas sûr de ce qu'il allait lui répondre, mais finit tout de même par nous expliquer avec une seule phrase :
- Grace à Leslie.
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À la nuit tombée
RomanceSeona vient de se faire mettre à la rue. Depuis la mort de son père, ses relations avec sa mère sont devenues encore plus compliquées. Elle a besoin de trouver un toit, et vite. La solution est là : Adam, son cousin, peut l'héberger. Mais qu'en sera...