Chapitre 27

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Thomas Anderson

     - Elle ne lâche pas l'affaire, notifie Eliott en observant les messages qui s'affichent sur mon portable.

     - Je vais devenir fou je t'assure ! Au début, c'était mes parents, et maintenant c'est elle qui m'harcèle.

     Mon meilleur ami me rend mon téléphone et s'assoit sur la chaise de bureau face à moi. Même si ça fait près de deux mois qu'Amalie et moi avons officialisé notre relation, Katelyn semble déterminée à me prouver que je serais mieux avec elle. Laissez-moi en douter.

     - Aaron propose de se voir au bar ce soir, lance l'homme face à moi. Il sort de garde et a l'air d'avoir suffisamment d'énergie pour nous supporter. Rachel sera là et ta sœur aussi apparemment. Tu devrais proposer...

     Sa phrase meurt entre ses lèvres alors qu'il m'observe pianoter sur mon téléphone.

     - Fait, je dis en relevant la tête.

     Il me toise.

     - Quoi ? J'ai quelque chose sur la figure ?, je râle en reportant mon attention sur mon ordinateur.

     - Non, pas du tout. C'est juste que c'est beau de te voir comme ça.

     - Me voir comment ?, je l'interroge en ne lui jetant pas un regard, n'étant pas sûr de vouloir savoir où il veut en venir.

     - Amoureux.

     Mon cœur rate un battement en essayant d'empêcher mes joues de rougir. Je joue vraiment bien la comédie, il semblerait.

     - Tu devrais essayer, je lui lance pour seule réponse. L'amour, ça change un homme.

     Je lui adresse une œillade, un rictus collé aux lèvres, alors qu'il fait mine de ne pas relever ma remarque.

     - Sans façon, il se contente de me dire.

     Et dire qu'il y a encore quelques semaines, mon discours était radicalement opposé. Et aujourd'hui, c'est lui qui se moque de moi car je suis amoureux. Cette relation n'est toujours pas réelle, du moins pas plus que depuis qu'elle a commencé, mais j'ai beaucoup apprécié passer du temps avec Amalie ces deux derniers mois.

     Au lycée, on ne faisait que se croiser dans les couloirs, ou chez moi quand elle trainait avec Sarah. Les moments où je passais le plus de temps dans la même pièce qu'elle c'était quand elle dînait à la maison. Assis en face d'elle, je pouvais l'observer le temps d'un repas tout en restant le plus discret possible. Elle m'intriguait déjà à cette époque, alors l'avoir recroisé après plusieurs années n'a fait que ranimer ce sentiment. Et maintenant que nous sommes amis, je me rappelle pourquoi elle me plaisait tant il y a dix ans.

     Il suffit qu'elle entre dans la pièce pour que mes problèmes paraissent plus légers. Il suffit que je croise son regard pour qu'un sourire se dessine naturellement sur mon visage. Il suffit d'un éclat de rire de sa part pour qu'un courant chaud parcoure mon corps. Il suffit qu'elle m'effleure pour éveiller une part de désir en moi que je tente désespérément d'enfouir.

     Je tente de me convaincre que tout ceci va finir par passer, et que de toute façon, d'ici trois ou quatre mois, elle repartira à New York. Notre relation n'est pas une vraie histoire d'amour comme on peut en voir dans les films. Nous ne sommes pas deux personnes follement amoureuses l'une de l'autre. Nous sommes deux amis qui se font passer pour un couple aux yeux des autres afin de se dérober à nos problèmes. Dis comme ça, ça ne parait pas une si bonne idée. J'ai l'impression que plus je passe du temps en sa compagnie, moins j'ai l'impression que tout ceci est fictif pour moi. On se voit pratiquement toutes les semaines au bar avec mes amis. Elle passe aussi régulièrement "à l'improviste" pour déjeuner avec moi et elle croise "par hasard" mon père dans le bureau à côté du mien. Mais je n'oublie pas les raisons qui nous ont poussé à inventer ce mensonge. Katelyn, son ex, mes parents...

     Depuis que je suis allé chez elle il y a quelques semaines, qu'elle m'a appris à cuisiner et que nous avons regardé Titanic, je n'arrête pas de penser à ce qu'elle m'a dit sur ce Joshua. Je ne comprendrai jamais comment il a pu traiter une femme comme Amalie de la sorte. Elle qui est si rayonnante, attentionnée, curieuse. Il l'a rendue triste et lui a arraché une part de sa confiance en elle, et j'aimerai être la personne qui lui montre tout ce qu'elle ne voit plus chez elle. Qui lui montre qu'il est possible d'être avec quelqu'un qui la soutient et qui l'encourage toujours dans tout ce qu'elle fait. Mais je ne suis pas cette personne pour Amalie. Et je ne le serais sûrement jamais. Je suis son ami. Je suis son faux copain. Je suis le frère de sa meilleure amie.

     Mais je sais que pour moi, elle ne sera plus jamais seulement la meilleure amie de ma petite sœur. Cette image a disparu le jour où je l'ai croisée avec Sarah au centre commercial. Au moment où son expression de surprise m'a fait craquer lorsque je l'ai présenté comme ma petite-amie à Katelyn, ce même jour. Ou encore quand elle a débarqué chez moi pour me demander de l'aide pour cette soirée. Les choses ont changé, et ne pourront plus jamais redevenir comme avant. Je me demande bien dans quel merdier je me suis foutu.

*

     J'observe April, Sarah et Amalie éclater de rire alors que je n'ai pas écouté un seul mot de leur conversation. Tout ce que je perçois, c'est la légèreté du rire d'Amalie et l'expression chaleureuse qui orne son visage. Je tente de me ressaisir. Je sais pertinemment que c'est ce genre de pensées qu'il faut absolument que je relègue aux oubliettes, au risque que notre relation amicale soit réduite au néant, et que notre fausse relation soit un échec cuisant. Je porte mon attention sur mon meilleur ami et Jordan qui sont en train de commander un verre au bar. Ou devrais-je plutôt dire, en train de draguer un groupe de femmes assises au bar. Ce serait plus juste. Ils ne ratent jamais une occasion.

Tu sautes, je sauteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant