Chapitre 35

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Thomas Anderson

     Les semaines ont passé, et les choses entre Amalie et moi sont revenues à la normale. Enfin, aussi normal que la situation puisse l'être. Ma mère est toujours ravie quand on vient déjeuner le dimanche ensemble, bien que nous le faisons de plus en plus rarement. Cette fausse relation paraît vraie à l'heure actuelle. On agit tellement comme un couple que c'est comme si ça n'avait jamais été fictif. Et je me dis que ça devient vraiment dangereux. Il faudrait peut-être que j'y mette fin. Je sais bien qu'aucun de nous deux n'a mis l'autre en garde, quand on a convenu de cet accord, quant à un potentiel risque de développer des sentiments. Mais aucun de nous deux ne pensait que cette histoire allait durer aussi longtemps. Et dire que ce n'était que pour quelques semaines à la base...

     Je dois sérieusement mettre les choses au clair avec moi-même au risque que notre amitié en pâtisse. Le mariage de ma tante, ou devrais-je dire le quatrième mariage de ma tante, approche et je ne sais toujours pas si je dois inviter Amalie. C'est ce que mes parents attendent de moi, évidemment. Et Katelyn sera là, alors je me dis que je devrais profiter de la présence d'Amalie pour m'en servir comme bouclier pour repousser celle qui me court après sans vouloir me lâcher. Ma relation avec la meilleure amie de ma sœur n'a pas eu l'effet escompté sur elle. Elle a permis de satisfaire mon père et ma mère, et calmer mes potes qui viraient sentimental, mais Kate n'a pas l'air d'avoir tout à fait compris que je ne suis pas intéressé par elle. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. J'ai repoussé à maintes et maintes reprises ses avances. J'ai toujours décliné ses invitations. Et malgré l'obstination de nos parents, je n'ai jamais cédé. Ça aurait déjà dû lui mettre la puce à l'oreille. Mais il semblerait que ce n'est pas le cas. Alors bouclier Amalie va devoir m'accompagner à ce mariage. Ce week-end sera probablement le dernier où nous devrons jouer les faux couples. J'espère simplement que Katelyn ne tentera pas de revenir à la charge. Je sais qu'Amalie est assez forte pour ne pas se laisser démonter face à ce genre de personne, mais son départ signera le champ libre pour Kate, et je n'ai aucune idée de comment je vais gérer ce problème.

     En attendant, je suis fixé sur ce que je dois faire avec ma fausse petite-amie. Elle m'accompagnera à Napa Valley dans quelques semaines, et à notre retour, son départ sera quasiment imminent. Nous mettrons fin à notre couple, et je ferai mine d'avoir le cœur brisé. Ma mère sera bien trop occupée à prendre soin de son fils triste pour ramener sur le tapis les sujets "amour", "mariage" et "petits-enfants" avant un moment. Il semblerait que j'aurai ce que je voulais depuis le début. Alors pourquoi j'ai le sentiment que quelque chose cloche ? Ça ne me réjouit pas autant que ça devrait.

     J'essaye d'ignorer le fait que ça aurait un "potentiel" rapport avec les "potentiels" sentiments que j'ai développé pour Amalie. Bien sûr que nous resterons amis une fois cette mascarade terminée, du moins j'espère. Mais elle va repartir à l'autre bout du pays, et on ne se verra plus aussi souvent. J'ai pris l'habitude de déjeuner avec elle fréquemment, ou de l'emmener avec moi et mes potes au bar. Sans compter les moments où elle se joint à ma famille. Tout ceci est devenu tellement habituel que je ne sais pas à quoi va ressembler mon quotidien une fois que tout ceci aura pris fin.

     Je tente de me convaincre que ce n'est pas grave, que je vais reprendre ma vie comme elle était avant son arrivée à Los Angeles. Mais ça ne sera jamais aussi bien. Je me suis trop habitué à son sourire qui me réconforte après une dure journée. Ou à sa façon de danser quand elle cuisine. Ou encore sa manière de ronchonner quand elle a faim. Et c'est sans compter sa manière d'illuminer n'importe quel endroit juste par sa présence.

     Je me laisse tomber sur mon canapé en me maudissant. Je ne sais pas comment j'ai laissé tout ça arriver, mais je suis sacrément dans la merde. Un plat de pâtes posé sur ma table basse, je regarde la première chaîne de télé qui s'affiche quand je l'allume, et essaye de reléguer mes pensées au second plan. C'est un véritable échec. Je me mets des claques mentalement d'avoir laissé mon cœur foutre autant le bordel dans ma tête. En vingt-cinq ans, ça n'était jamais arrivé. Bien sûr que j'ai fréquenté quelques femmes, mais je ne crois pas avoir été réellement amoureux. Du moins, pas autant que maintenant. Et ça me fait carrément flipper. Je ne sais pas si je dois avouer mes sentiments à Amalie. Si je le fais et que ce n'est pas réciproque, non seulement je perdrais mon amie, mais je mettrai également fin à notre fausse relation, et je n'aurai personne avec moi au mariage de tante Meg. Je me dis qu'en laissant passer le temps, ces sentiments finiront par s'estomper, et tout ira pour le mieux. Enfin j'espère...

*

     Ces dix derniers jours ont été très similaires à ces derniers mois. Beaucoup de travail, la tête ailleurs, des sorties de temps en temps. À une exception près. Je sais maintenant ce que je ressens pour Amalie. J'en suis sûr. Je tente de ne pas le laisser paraître. Je n'ai pas envie qu'elle le devine dans mon comportement. Si elle doit être au courant, je préfère que ce soit parce que je lui ai dit. Je suis encore partagé sur ce sujet. Lui en parler serait-il vraiment une bonne idée ?

     On doit tous se retrouver au bar ce soir, mais je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur endroit pour en parler. La sonnerie de mon portable me tire de ma réflexion. C'est comme si elle savait que je pense à elle...

     Je reviens à la réalité et m'empresse de décrocher.

     - Tu avais tellement hâte de me voir que tu ne pouvais plus attendre ?, je lance à travers le combiné.

     Je tente de ne pas trop laisser entendre mon enthousiasme.

     - Hey, Thomas. Ça te dérange si je ne viens pas ce soir ?

     Mon sourire s'évanouit à la seconde où j'entends le timbre de sa voix. D'habitude, il est chaleureux et enjoué, mais cette fois-ci, il est calme et fatigué. Ça ne lui ressemble pas.

     - Tout va bien ?, je m'empresse de lui demander en sentant l'inquiétude me gagner.

     - Juste de la fatigue, ne t'en fais pas.

     - Tu veux que je passe te voir ? Tu as besoin de quelque chose ?

     Je secoue nerveusement mon stylo, ne sachant pas ce qui la rend dans cet état.

     - Non, surtout pas !, elle se hâte de me dire. Profite de ta soirée et de tes amis !

     - Tu es sûre ?

     - Oui, on se parle plus tard ?

     Résigné, je n'insiste pas.

     - Ok, prends soin de toi.

     Elle n'ajoute rien et raccroche. Ça ne lui ressemble vraiment pas, et je ne compte pas la laisser seule dans cet état.

Tu sautes, je sauteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant