ℂ𝕙𝕒𝕡𝕚𝕥𝕣𝕖 ℚ𝕦𝕒𝕣𝕒𝕟𝕥𝕖-𝔼𝕥-𝕌𝕟

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"My heart is broken and I'm scared

Walls are coming down

My defense is on the ground"

In Between - J.J. Pfeifer, Grace Meredith

Le sentiment de vide.

J'étais complètement vide.

Ce sentiment horrible qui nous creuse de l'intérieur. Qui nous brise le cœur en fragments irrécupérables.

C'était ce que je ressentais. Ce que j'avais ressenti lorsque Lucca m'avait balancé que j'étais morte pour lui. Il m'avait dit ça avec une telle rage... Je ne le reconnaissais plus. Tous ses mots transpiraient la méchanceté. Du moins, je le ressentais comme ça. Il voulait me blesser, me faire mal. Et le pire, c'était qu'il avait réussi.

Durant des années, je vivais avec un sursis. Avec un pied dans la tombe. J'ai dû infliger cette peine à toute ma famille, à tous mes amis. Je m'affaiblissais de plus en plus. Je ne mangeais plus, je ne marchais plus.

Durant des années, j'ai vu ma famille se plier en quatre pour subvenir à mes besoins, pour tenter d'atténuer mes souffrances. J'ai vu leur douleur de voir mon état de santé se dégrader avec le temps. J'ai vu leur impuissance danser dans leurs rétines. J'ai vu le gouffre s'agrandir dans leur âme. J'ai vu la peur de perdre leur fille, leur sœur, s'agrandir au fur et à mesure. J'ai même vu de la culpabilité dans les yeux de mon père.

Ces cancers, je les avais à cause d'un gène défectueux. Mon grand-père paternel l'avait, ce gène. Et il était mort par la faute d'un cancer. Avec ces antécédents familiaux, les médecins ont voulu vérifier ma génétique par des tests quand ils ont découvert mon angiosarcome. Ce gène, le gène cancer, comme je l'appelais petite, je l'avais.

Mes frères ont également dû passer des examens pour s'assurer qu'ils n'avaient rien. Ils étaient tous ressortis négatifs. Ce qui avait fait mon bonheur.

Mais oui. Comparée aux autres personnes, moi, j'avais constamment un pied dans la tombe avec ce gène. J'avais côtoyé les doux bras décharnés de la mort de bien trop nombreuses fois. Au cours des dix longues années qu'avait durée mon premier cancer, j'avais fait une cinquantaine d'infections à cause de mon système immunitaire très faible, des vingtaines de malaises cardiaques, des dizaines de crises cardiaques, des semaines et des semaines plongée dans un coma artificiel... Et la liste était encore très longue.

Je le savais. Ma famille le savait. Tout le monde le savait. Lucca le savait. Je ne comprenais pas pourquoi il me reprochait d'être morte dans ses bras. Ça me paraissait surréaliste. Je n'avais pas pu le prévoir.

Personne n'aurait pu le prévoir. C'était ce que les médecins avaient dit. Une cavité de mon cœur s'était remplie de liquide, ce qui avait entraîné un arrêt cardiaque. Ce n'était pas prévisible.

Or, dans tout ça, ce qui m'avait le plus bouleversée, en plus de la colère de Lucca, était la culpabilité qui émanait de lui. Il s'en voulait. Moi je ne lui en voulais pas. Sans lui, sans sa détermination, je ne serais plus en vie à l'heure actuelle. Alors comment pourrais-je lui en vouloir ?

Même si j'avais dû avoir de longues séances de rééducation par la suite car toute une partie de mon corps s'était trouvée temporairement paralysée, jamais je ne lui reprocherai de m'avoir sauvée la vie.

C'était mon frère. Je l'aimais plus que tout.

Mais, pour lui, j'étais morte ce jour-là. Le trois mais 2003, le jour de ses vingt-quatre ans.

Compagnons D'âmes VagabondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant